Safaris de la supercherie. Gare aux canulars au musée de la Chasse et de la Nature !
Vue de l'exposition Safaris, musée de la Chasse et de la Nature, Paris © photographie Le Curieux des arts, Gilles Kraemer, août 2016
Vues de l'exposition Safaris, musée de la Chasse et de la Nature, Paris © photographies Le Curieux des arts, Gilles Kraemer, août 2016
D'étranges choses se passent au musée de la Chasse et de la Nature, pendant encore quelques jours ! Dans les magnifiques salons de ces deux hôtels particuliers du Marais réunis, celui de Guénégaud et de Mongelas, la Girafe d'Agnes Rosse (née en 1970), 6 mètres de haut, perce de sa tête le plafond du salon du Cerf et du Loup et se retrouve dans les combles, dans le monde de la bande dessinée, celui d'Enki Bilal, Yves Chaland, Paul Gillon ou de Jiro Taniguchi. Dans un autre, la dépouille d'un lion, trophée courant à la fin du XIXème siècle dans le fumoir, sous les pieds de quelques Tartarin de Tarascon ou Eugène Pertuiset photographié par Eugène Disdéri, est devenue un assemblage de bois des caisses de munitions et d'armes selon Dimitri Tsykalov (né en 1963). Facile d'y deviner la dénonciation des carnages, dont l'homme est l'acteur, carnages que se plaît à photographier David Chancellor (né en 1961) dans sa série Safari club en présentant des chasseurs trônant, entourés d'animaux naturalisés et de murs constellés de trophées. Ces trophées, Ghyslain Bertholon les détournent en vous présentant non pas la tête du roi de la savane mais ses postérieurs taxidermés ; à vous d'aller à la chasse de Troché de face (lion) en parcourant la salle des Trophées.
Nicolas Rubinstein (né en 1964). Photoreportage colonial psychogéographique. Série "Souvenir d'Afriques". 2003. 21 photograhies par Marc Righo. Collection de l'artiste © photographie Le Curieux des arts, Gilles Kraemer, août 2016
Pas besoin de partir si loin, de traverser la Méditerranée, inutile de parcourir le continent africain comme il était de coutume au XIXème siècle ou au début du XXème. Laissez votre Citroën et la Croisière noire. Écoutez le merveilleux conte de Nicolas Rubinstein (né en 1964), ingénieur géologue de formation qui, dans Souvenir d'Afrique, réalise son reportage d'utopie dans un territoire entre Marseille et Manosque, une traduction d'un imaginaire colonial ; il inclut également dans son périple la rivière La Durance qu'il visualise comme un paysage cygénétique où pourraient apparaître quelques rhinocéros.
"Œuvres" d'Hippolyte-Alexandre Michallon (1849-1930) et ses élèves Bruce Sargeant (1898-1938), Edith Thayer Cromwell (1893-1962), Brechtholdt Streeruwitz (1890-1973) et Peter Coulter (né en 1948) Vues de l'exposition Safaris, musée de la Chasse et de la Nature, Paris © photographies Le Curieux des arts, Gilles Kraemer, août 2016
Mark Beard (né en 1956), même si vous ne le connaissez pas, sa peinture vous parlera si vous fréquentez Abercrombie and Ficht, Fith Avenue, aux murs peints de sportifs en sueur, tablettes de chocolat, shorts blancs et morphologie prometteuse. L'homoérotisme sourd de la lumière plus que tamisée de cet immense magasin au parcours labyrinthique et à la musique assourdissante. Mark Beard a souhaité ici inviter cinq peintres dans un accrochage aux murs sursaturés de toiles accrochées cadre contre cadre, cinq visions de l'Afrique colonialiste et post, d'Hippolyte-Alexandre Michallon (1849-1930) - ne surtout pas confondre avec Achille-Etna Michallon (1796 - 1822) - et ses élèves Bruce Sargeant (1898-1938) - ne pas confondre avec John Singer Sargent - , l'unique femme Edith Thayer Cromwell (1893-1962) et Brechtholdt Streeruwitz (1890-1973). Y adjoignant le peintre contemporain Peter Coulter (né en 1948). Belle occasion de découvrir ces peintres totalement inconnus de tous, uniquement de Mark Beard sachant faire surgir de l'ombre des talents. Chez Bruce Sargeant, atmosphère très 1930, que des mecs aux tenues bien ajustées, des garçons se retrouvant chasser les grands fauves, en un jeu de regards et de frôlement des corps. Le Kenya de la baronne Karen von Blixen-Finecke est là mais un territoire où la femme n'est pas présente. Un entre-soi dans une atmosphère virile. Chasse, douche commune, dîner servi par des boys et un après-dîner que l'on devinera être réparateur. Puis repos du guerrier.
Mark Beard © photographie Le Curieux des arts, Gilles Kraemer, Paris, mars 2016 2016
En soutien de cette révélation picturale, rien de moins que la présentation de ces peintres par des sachants. Après celle avertie de Claude d'Anthenaise, discussion de la conservatrice Marie-Christine Prestat autour de Michallon, de l'historien Jean-Louis Guillemin sur Sargeant, du directeur du musée Picasso, Laurent Le Bon, pour défendre avec des trémolos dans la voix les œuvres de Thayer Cromwell et de Streeruwitz (bravo pour sa prononciation d'un nom imprononçable), du conservateur Raphaël Abrille nous révélant les liens picturaux inédits entre Coulter et Jean-Michel Basquiat puisqu'ils exposèrent ensemble en Afrique. Une révélation du plus haut niveau révolutionnant l'histoire de l'art. Mais, comme le souligne Raphaël Abrille, il ne peut nous présenter aucune photographie de cette exposition. Nous devons le croire sur parole. A se demander comment ils ont pu garder leur sérieux face à la caméra. Au royaume des as de la dissimulation ils sont les meilleurs dans ce cautionnement scientifique et argumenté de la supercherie de Beard. Ces cinq inconnus n'ont jamais existé.
Mark Beard, peintre aux cinq palettes.
Gilles Kraemer
Safaris
30 mars - 4 septembre 2016
Musée de la chasse et de la nature
62, rue des Archives - 75003 Paris
Commissaires Anne Beauchef-de Bussac et Claude d'Anthenaise
Pas de catalogue en S.P..
Dimitri Tsykalov est représenté chez Rabouan Moussion, 11 rue Pastourelle, Paris.
You tube pour en savoir plus sur cette supercherie