Gabriel Deluc, l'(in)connu grand peintre de Saint-Jean- de-Luz
Gabriel Deluc, Le Lac, 1912. Huile sur toile, 130 x 140 cm.. Musée Bonnat-Helleu, Bayonne, n° inventaire CM 220 © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Gabriel Deluc, Guéthary, 4 juillet 2016.
Gabriel Deluc ? La découverte d'un peintre, natif de Saint-Jean-de-Luz, que je connaissais uniquement par son tableau Le Lac (1912). Je l'avais vu au musée Bonnat à Bayonne, à une époque où cette institution ne s'appelait pas encore Bonnat-Helleu, son nom depuis la seconde donation de Paulette Howard-Johnston - fille de l'artiste Paul-César Helleu - à ce musée. Connu de tous les amateurs de "la belle feuille" pour la richesse fabuleuse de son Cabinet des dessins, la réouverture de cette institution est prévue, après travaux et agrandissement, courant 2019.
Concordance des temps de deux destins tragiques. Le musée Fabre à Montpellier consacre une exposition des plus émouvante à Bazille mort à quelques jours de ses 29 ans lors de la guerre franco-prussienne de 1870. Coïncidence de destin avec Gabriel Deluc (1883 - 1916) auquel une pertinente rétrospective est offerte au musée de Ghéthary : il disparut lors de la Grande guerre, le 15-16 septembre 1916, lors d'une reconnaissance dans les lignes ennemies à Souain, dans la Marne, en Champagne, âgé de 33 ans.
Trente et une huiles plus quelques dessins et pastels, lettres, cartes postales reproduisant ses tableaux, éventail et objets personnels sont présentés. Étienne Rousseau-Ploto, son commissaire, estime son œuvre peint à 250/250 numéros. Il cessa de peindre, dès son engagement volontaire dans l'armée française le 20 août 1915, lui qui avait été dispensé du service militaire. Encore une coïncidence avec Bazille engagé volontaire. Mais il dessinera durant le conflit et la dizaine de ses dessins exposée ici - nombre provenant de la famille de l'artiste comme également certaines huiles - retranscrit les tranchées et leurs morts. Deux de ses dessins nous projettent dans la commémoration récente des 100 ans de l'offensive de la baie de Somme, le 1er juillet.
Le Montpelliérain est connu mondialement. Le Luzien, benjamin d'une fratrie de 9 enfants, moins, ne dépassant pas encore les limites du Sud-Ouest. À l'un les honneurs, à l'autre une reconnaissance tardive dans ce petit musée getariar pour "le centenaire de sa mort héroïque".
Sa dernière rétrospective remonte... à 82 ans, en 1934, pour l'inauguration de la villa Ducontenia, à Saint-Jean-de-Luz. Il n'est jamais trop tard pour cet hommage présenté si subtilement par Étienne Rousseau-Plotto.
L'on est loin des grands espaces des institutions muséales, seulement deux salles avec la réussite d'un bel accrochage très aéré. Avec trois bouts de ficelle et beaucoup d'enthousiasme, l'on arrive à une belle exposition-rétrospective de cet artiste qui participa au Salon des Artistes français et à celui des Indépendants.
Gabriel Deluc, Autoportrait, 1900. Huile sur panneau publicitaire. Collection particulière. Remerciements collection particulière © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Gabriel Deluc, Guéthary, 4 juillet 2016
Gabriel Deluc, Autoportrait en jeune romantique, vers 1902-1904. Huile sur toile, 55 x 44 cm.. Collection particulière. Remerciements collection particulière © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Gabriel Deluc, Guéthary, 4 juillet 2016
Arrêt devant son Autoportrait (1900), quelque chose de balthusien avant l'heure, quelque chose de l'Autoportrait à vingt-quatre ans d'Ingres dans son attitude, du Cortège des rois mages de Benozzo Gozzoli à la chapelle du palais Médicis-Ricardi à Florence dans le visage de ce jeune homme. Très sérieux, voulant faire plus que son âge, dans une volonté de procurer une forte impression malgré ses 17 ans. Il s'attaque au genre très subtil de l'autoportrait, miroir si intime et démonstratif de l'image que le peintre souhaite donner à tous. Et surtout laisser de lui. Costume sombre, tombé parfait du col de la veste - sa mère était couturière - chemise blanche, fantaisie de la tâche rouge de son nœud papillon attirant tous les regards. Il possède le sens de la composition et une grande sensibilité cet élève de Philippe Jolyet, directeur de l'École municipale de dessein et de peinture de Bayonne ! Il obtiendra tous les prix de cette école et partira pour l'atelier parisien du plus illustre des enfants de Bayonne : l'incontournable Léon Bonnat, une des gloires artistiques de la IIIème République.
Gabriel Deluc, Le Chevrier - Vue de la baie de Saint-Jean-de-Luz, 1908. Huile sur toile, 320 x 140 cm.. Collection de la ville de Saint-Jean-de-Luz © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Gabriel Deluc, Guéthary, 4 juillet 2016.
Second Autoportrait (vers 1902 - 1904). Il a très vite appris depuis qu'il est dans l'atelier de Léon Bonnat à l'École des beaux-arts; deux années d'écart mais quel allant dans sa façon de se représenter, dans sa palette aérée. Il s'assume parfaitement, à 19 ans, avec juste ce qu'il faut de sérieux mais pas trop. Ses paysages du pays basque : Saint-Pée-sur-Nivelle ou Pont au pays basque (1908) sont teintées de néo-impressionnisme et révèlent une grande maîtrise. Un des plus connu, puisqu'il fut jusque dans les années 1980 dans la salle du conseil municipal de la mairie de Saint-Jean : Le Chevrier (1908) et la baie de la ville luzienne.
Maurice Ravel, Le Tombeau de Couperin, suite pour piano © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Gabriel Deluc, Guéthary, 4 juillet 2016
Maurice Ravel, Le Tombeau de Couperin, suite pour piano © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Gabriel Deluc, Guéthary, 4 juillet 2016
Changement total avec ses toiles nimbées de "symbolisme-musical" dans lesquelles se perçoit une relation avec un autre enfant illustre de Ciboure - ville voisine de Saint-Jean - , Maurice Ravel. Le compositeur, qui lui dédiera en 1916 la Forlane, troisième pièce de la suite pour piano du Tombeau de Couperin, possédait le tableau Daphnis et Chloé (1912) visible au musée Ravel à Montfort-l'Amaury, huile très inspirée des décors de Léon Baskt pour ce ballet mis en musique par Ravel, créé en 1912 au théâtre du Châtelet.
Cette proximité est encore plus visible dans le grand tableau Le Lac (1912) dans lequel se retrouvent les arbres et les rochers de Baskt. Manifestement, Deluc assista à la création de ce ballet. L'influence se décrypte également dans Les Archets (vers 1912-1913) se détachant devant l'ombre du visage de profil du dieu grec Pan :"La terre s'entrouvre. Formidable, l'ombre de Pan se profile sur les montagnes du fond dans un geste menaçant".
Dernier regard sur les portraits de Philippe de la Loge d'Ausson enfant sur la plage de Saint-Jean et de la pianiste Hélène C., si Jacques-Émile Blanche, 1912. Un monde qui bientôt disparaîtra, dans la belle lumière du pays basque.
Gilles Kraemer (déplacement à Guéthary et séjour à titre strictement personnel)
Gabriel Deluc. Un grand peintre luzien. Centenaire de sa mort héroïque
4 juillet - 3 septembre 2016
Villa Saraleguinea - 64210 Guéthary
Dossier de presse https://www.musee-de-guethary.fr/documents/dossier-de-press-e-gabriel-deluc-juillet-aout-2016.pdf
Commissariat Étienne Rousseau-Plotto. Plaquette, 25 illustrations avec textes d'Étienne Rousseau-Plotto.
Ce commissaire présente cette exposition le samedi 13 août 2016, Villa Saraleguinea à 17h 30. Entrée libre.
Festival de musique de chambre Classic à Guéthary, les 16, 17 et 18 août à 18h 30 au musée. Mozart, Schubert, Tchaïkovski, Schumann et Jules Matton (compositeur en résidence).
Voir aussi le bel ensemble de sculptures (bronze, terre cuite, taille directe, plâtre) et céramiques de Georges Clément de Swiecinski (1878-1958), sculpteur d'origine polonaise, né en Roumanie, arrivé en France en 1902 pour y compléter des études de chirurgie. Il connaîtra sa partie la plus faste entre 1924 et 1937. Décédé dans un quasi-dénuement, la ville de Guéthary prendra en charge les obsèques de cet artiste qui avait offert à cette commune sa collection. Un artiste sincère à découvrir d'urgence à la Villa Saraleguinea. Il fit l'objet d'une exposition à Mont-de-Marsan, Musée Despiau-Wlérick, en 1999.
Étienne Rousseau-Plotto, professeur d'histoire au lycée Ravel de Saint-Jean-de-Luz et organiste de Saint-André à Bayonne, est l'auteur de Ravel. Portraits basques et Stravinsky à Biarritz Un compositeur russe en exil (1921-1924), deux ouvrages parus aux Éditions Atlantica, Biarritz. Ré-éditions en 2016 de ces deux ouvrages augmentés. www.atlantica.fr/
Frédéric Bazille www.lecurieuxdesarts.fr/2016/07/le-triomphe-de-frederic-bazille-a-montpellier.html
Vues de l'exposition Gabriel Deluc © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Gabriel Deluc, Guéthary, 4 juillet 2016