La vallée de la Creuse, vallée des peintres. Charles Bichet et Allan Österlind, Eugène Alluaud et Alfred Smith, entre Berry et Limousin (I)
Un peintre suédois en Creuse ? Qu'allait donc faire Allan Österlind (1855-1938) dans cette région, entre Berry et Limousin, y séjournant entre 1884-1885 et les années 1920, à Lépaud, Fresselines ou Crozant, en Creuse ou à Gargilesse, village voisin dans l'Indre ? Enfin presque, il ne venait pas spécialement de Suède ! Natif de Stockholm, il s'installe définitivement en France en 1876, à l'âge de 22 ans. Pleinariste, il fréquentait Barbizon, Lyons-la-Forêt et Carolles en Normandie. Il était normal qu'il se rendit sur les motif de la vallée de la Creuse, "preuve que cette école picturale n'est pas régionaliste mais internationale" comme le souligne Anne Dussault, l'une des commissaires de l'exposition Österlind se déroulant au château d'Ars évoqué par George Sand dans Les beaux Messieurs de Bois Doré. George Sand, très présente dans cette région. Lorsqu'elle séjournait à Nohant, dès 1827 elle venait souvent sur le site de Crozant pour les ruines de sa forteresse sur un promontoire entre les rivières Creuse et Sédelle, dont elle dira qu'il s'agit d'un "petit Fontainbleau" pour son motif, sa vallée, sa lumière, le pittoresque de cette région fréquentée dès 1832 par Jules et Victor Dupré, Constant Troyon ou Théodore Rousseau.
Comme se plait à l'évoquer Christophe Rameix, auteur de L'École de Crozant. Les peintres de la Creuse et de Gargilesse 1850-1950 (1991), il faut "imaginer un paysage totalement différent de ce qu'il est aujourd'hui, un paysage pâturé, à la végétation rase, minéral, couvert de bruyères et d'ajoncs, avec la Sédelle grossissant la Creuse, le barrage d'Éguzon n'ayant pas encore provoqué la hausse des eaux de 20 mètres lors de sa mise en eau en 1926." Rajoutant "Un lieu à la puissance romantique et même hugolienne". Pour mieux s'imprégner de l'atmosphère de Crozant telle que cette bourgade le fût il y a plus d'un siècle, l'ouvrage de Jean-Marc Ferrier consacré à la photographie dans la vallée de la Creuse en est la meilleure ouverture.
Regardez les vues de Placide Verdot ou d'Édouard Papillon, ce sont des Armand Guillaumin ou des Paul Madeline que vous avez sous les yeux. Cette région facilement acessible par le chemin de fer, direct de la gare parisienne d'Orsay pour celle de Saint-Sébastien à quelques kilomètres de Crozant et de Fresselines, était un lieu totalement adapté à la peinture impressionniste par ses couleurs claires, ses reliefs, son horizon bas. Dans un temps où les chevalets et sièges portables apparaissent et que la maison Lefranc fabrique les premiers tubes de peinture en 1859, tout se conjugait pour peindre la nature directement en extérieur et non plus la reconstituer et la recomposer en atelier.
Charles Bichet, Les Piliers de Lascoux à Châteauponsac, vers 1907-1913. Huile sur toile, 60,2 x 72,6 cm.. Musée des Beau-Arts de Limoges, inv. p.321, 1963, dépôt du musée national Adrien Dubouché © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Charles Bichet, musée des Beaux-Arts de Limoges, juin 2016
Dans la suite des quatre expositions de 2013 : La Creuse, une vallée-atelier. Paysages romantiques, impressionnistes et post-impressionnistes, le parcours de l'année 2016 s'ordonne en quatre monographies de peintres qui élirent ces lieux comme un de leur motif pictural. Mais ce thème est largement élargi, ces quatre expositions devenant des rétrospectives de l'œuvre peint pour chacun d'eux. Ceci est particulièrement prégnant pour Charles Bichet. Volume, lumière, couleur au musée des Beaux-Arts de Limoges. Il s'agit d'un parcours thématique chronologique mettant en valeur la centaine de peintures et de dessins de Charles Bichet (1863-1929) que cette institution limougeaude conserve. Il peignit plus de paysages de Haute-Vienne que de Creuse d'ailleurs. L'on suppose un passage à Crozant en 1907, le peintre s'arrêtant plus à Anzème, au sud de Crozant, dont une seule toile de ce lieu est présentée ici, assez forte d'ailleurs, dans sa vision très fauve des gorges de cet endroit. Je retiendrai Les Piliers de Lascoux à Châteauponsac (vers 1907-1913), dans des violets très proches de ceux de Paul Madeline, une toile puissante, toute en matière, dans laquelle la minéralité est forte. Cette seule œuvre de Bichet de Creuse est contrebalancée par des prêts de grande force : Crozant (1901) d'Othon Friez et Ruines de Crozant, le matin (1897) de Guillaumin et deux pastels de ce dernier.
Allan Österlind, Le Poète Rollinat chez lui ou Maurice Rollinat et son chien, vers1898. Aquarelle, 90 x 115 cm.. Les musées de la Ville de Châteauroux © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Allan Österlind, château d'Ars, La Châtre, juin 2016
Allan Österlind à Ars. Ici aussi il s'agit d'une rétrospective de ses peintures avec quelques estampes, sans doute très commerciales à l'époque mais oublions vite ses eaux-fortes espagnoles pour ne retenir que sa peinture creusoise ou berrichonne. Découvrant la Creuse vers 1884-1885, il s'y installe avec son épouse pour de fréquents séjours entre Bretagne et Paris. Il s'y lie avec Maurice Rollinat, l'auteur des Névroses (1883) dont la publication a assuré la gloire. Face à ce succès, le poète hyper-sensible, originaire de Châteauroux, préfère la tranquillité de Fresselines, où se cristallisera dans sa maisonnette de la Pouge (toile de Fernand Maillaud, 1898) des amitiés avec Gustave Geoffroy, Claude Monet, Fernand Maillaud ou Léon Detroy. Le poète est une source inépuisable d'inspiration pour Allan qui le représente pêchant ou chez lui comme dans la grande aquarelle Maurice Rollinat et son chien [Pistolet] (vers 1898) avec son fond bleu captant la personnalité de l'écrivain en lui donnant un aspect songeur. Ce tableau que Cécile, la compagne de Maurice jugeait détestable et dans lequel elle voyait un évadé de Charenton, le poète l'offrit au musée de Châteauroux après qu'il eût été présenté au Salon de 1898 en même temps que La Légende du charmeur de rats, d'une veine symboliste morbide, avec son charmeur usant non de l'habituelle flûte mais... d'une cornemuse. Réminiscence bretonne ou berrichone ?
Allan Österlind, Le Pin: Moulin Drap ou Le Moulin du Pin, non daté. Huile sur toile, 65 x 81 cm.. Collection particulière © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Allan Österlind, château d'Ars, La Châtre, juin 2016
Ce Salon de la Société des artistes français indispensable pour la carrière de tout peintre, il y expose dès 1887. Coup d'éclat pour sa première participation : La maison mortuaire peinte à Lépaud recevant une mention honorable est achetée par l'État. L'année suivante, une autre scène rurale de ce peintre captant si bien les sentiments : Fin de journée, intérieur breton, sera une acquisition de l'État. Lorsqu'il se libère - mais Allan Österlind a-t-il adopté une logique de continuité -, lorsque sa touche se fractionne, c'est ici qu'il s'exprime le mieux dans Paysage de Gargilesse ou L'Abreuvoir (1909), Bords de Creuse (1915) ou Le Pin: Moulin Drap, cette dernière toile des environs de Gargilesse, avec le clocher de Ceaulmont si reconnaissable, ne peut cacher quelques connivences avec Léon Detroy.
Gilles Kraemer (voyage presse)
Charles Bichet (1863-1929). Volume, lumière, couleur - 3 juin - 19 septembre 2016
Musée des Beaux-Arts, 87000 Limoges
Commissariat d'Anne Liénard assistée d'Anne-Claire Garbe
+33 (0)5 55 45 98 10 et www.museebal.fr
Allan Österlind (1855-1938). De la Suède aux rives de La Creuse - 7 mai - 2 octobre 2016
Musée George Sand, château d'Ars à Lourouer-Saint-Laurent, à quelques kilomètres de La Châtre - 36400
Commissariat d'Annick Dussaul, Vanessa Weinling & Vibeke Röstorp
+ 33 (0)2 54 48 36 79 et musees.regioncentre.fr/expositions/itinerances-artistiques-allan-osterlind-de-la-suede-aux-rives-de-la-creuse
Internet valleedespeintres.com/ et musees.regioncentre.fr/publications/la-creuse-une-vallee-atelier-itinerances-artistiques
Catalogue commun aux quatre expositions, entre Berry et Limousin, de La Châtre à Limoges, d'Éguzon à Guéret. La Creuse. Une vallée-atelier. Itinérances artistiques. Allan Österlind, Charles Bichet, Eugène Alluaud, Alfred Smith. Pour chaque artiste, texte de présentation, chronologie et quelques photograhies des œuvres exposées. Remarquablement édité par Les ardents éditeurs, Limoges. 208 pages. Prix 24 euros.
La photographie de la vallée de la Creuse au temps des impressionnistes (1875-1920) en 150 images ou les sites peints. Texte de Jean-Marc Ferrer. 166 pages. Éditions Les Ardents éditeurs, Limoges. 30 euros. Internet lesardentsediteurs.com/
Eugène Alluaud (1866-1947). Le passeur d'arts, peintures, photographies et arts du feu - 28 mai - 25 septembre 2016
Musée de la vallée de la Creuse, 36270 Éguzon
Commissariat de Jean-Marc Ferrer assisté de Carine Tschudi
+33 (0)2 54 47 47 75 et musees.regioncentre.fr/expositions/itinerances-artistiques-eugene-alluaud-le-passeur-d-arts-peintures-photographies-et-arts-du-feu
Alfred Smith (1854-1936). Le triomphe de la nature - 10 juin - 18 septembre 2016
Musée d'Art et d'archéologie, 23000 Guéret
Commissariat de Charlotte Guinois et Florian Marty. Avec le concours de Christophe Rameix
+33 (0)5 55 52 37 98 et http://www.ville-gueret.fr/
Et aussi La belle leçon de peinture de Monsieur Hareux, la première rétrospective à l'occasion du 170e anniversaire de sa naissance (1846-1909). 25 juin 2016- 18 juin 2017. Commissariat de Philippe Gayet. Centre d'interprétation du patrimoine Hôtel Lépinat à Crozant - 23160. Internet sites-valleedespeintres.com/page2.html
Deux endroits sympathiques pour s'arrêter.
Entre La Châtre et Éguzon, dans l'Indre, le restaurant Le Petit Roy à Le Menoux - 36200 sur les bords de la Creuse. Internet restaurant-lepetitroy.com/
Entre Éguzon et Crozant, dans l'Indre, La maison du lac, un ancien café-épicerie, maison d'hôtes où vous pourrez dîner après avoir profité de la piscine. Chaleureux accueil de Nathalie et Éric. Fressignes, 36270 Éguzon-Chantôme. Internet maison-du-lac.fr/index.html
Vues des expositions Allan Österlind et Charles Bichet © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse des expositions Allan Österlind, château d'Ars, La Châtre et Charles Bichet, musée des Beaux-Arts de Limoges, juin 2016