Aldo Manuzio. Et Venise devint la capitale de l'imprimerie - Aldo Manuzio. Il rinascimento di Venezia, capitale della tipografiait
Affiche de l'exposition Aldo Manuzio. Il rinascimento di Venezia. Bellini, Carpaccio, Giorgione, Tiziano © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, calle del Frutariol, 25 mai 2016
Le 6 février 1515 Aldo Manucio décédait à Venise.
Dans cette ville qui fut la "Sylicon valley de l'édition", dans un temps de passage entre XVe et début du XVIe siècle, les Gallerie dell'Accademia à Venise célèbrent le 500e anniversaire de la disparition d'Aldo. Avec quelques mois de retard cependant - l'exposition était programmée du 8 octobre 2015 au 10 janvier 2016 - pour celui qui fut le premier éditeur moderne de la Renaissance, éditant une centaine d'ouvrages, entre 1495 et 1515, toujours à la recherche de la meilleure typographie, instituant la pagination, inventant des livres transportables de format in-octavo, les premières "éditions de poche", "le livre objet" tel que désigné dans le catalogue. C'est à une fascinante évocation du livre qui changea l'histoire de la culture en Europe et à un voyage dans les arts au temps d'Aldo (né entre 1449 et 1453), le grand humaniste-imprimeur auquel l'on doit la publication de textes des auteurs grecs et romains que nous convie ce grandiose hommage. "Magistrale démonstration" qui inaugure les nouvelles salles d'expositions temporaires du complexe de la Carità au sein des Gallerie - comme le souligne Paola Marini, directrice de cette institution étatique dans l'introduction du catalogue.
Érasme de Rotterdam, Erasmi Roterodami Adagiorum chiliades tres, Venise, Ald Manuzio, IX 1508. Tours, Bibliothèque municipale, Rés. 3744 (fonds Marcel). Ouvrage ayant appartenu au diplomate et bibliophile français Jean Grolier (1489/1490-1565) © Tours, Bibliothèque municipale
Natif du Latium, après des études à Rome et à Ferrare, Aldo devint précepteur. En 1489, arrivant à Venise, le centre européen de l'imprimerie, il perçoit le manque de textes classiques anciens, surtout grecs, à publier d'une façon rigoureuse. Il s'associe à Andrea Torresano dont il épousera la fille et constituera une société avec son beau-père et un Barbarigo, fils et neveu de doges. En 1501, il adopte comme emblème de sa maison d'édition un dauphin enroulé autour d'une ancre marine dont il trouve le modèle sur une monnaie d'argent de l'empereur romain Titus qui lui fut offerte par Pietro Bembo. Cette monnaie, on la retrouve dessinée sur une des pages du Erasmi Roterodami Adagiorum chiliades tres imprimé par Aldo en 1508, ouvrage qui appartint au bibliophile français Jean Grolier qui rencontra Aldo à Milan. C'est un des magnifiques objets de cette exposition qui nous fait voyager dans le monde des lettrés de la Renaissance, épris des textes anciens, grecs et romains, baignant dans la mythologie rappelée par les deux huiles sur bois de Cima de Conegliano : Le Jugement de Midas et Le Songe d'Endymion.
Détail de la toile de Vittore Carpaccio, Incontro dei pellegrini con papa Ciriaco, vers 1490-1491. Toile 281 x 307 cm.. Venise, Gallerie dell’Accademia di Venezia. L'homme en vêtements de sénateur vénitien qui regarde vers sa gauche est vraisemblablement Ermolao Barbaro © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Aldo Manuzio. Il rinascimento di Venezia. Bellini, Carpaccio, Giorgione, Tiziano.
La mise en concordance d'une statue grecque Muse transformée vers 1500 en Cléopatre dite Grimani avec une grammaire grecque d'Aldo Thesaurus Cornu copia et Hori Adonidis (1496) nous renvoie à un dialogue de Pietro Bembo dans lequel celui-ci imagine un échange entre les philosophes romain Pomponio Leto et le vénitien Ermolao Barbaro, humaniste de la Sérénissime dont l'on retrouve le portrait dans l'immense tableau de Vittore Carpaccio Sainte Ursule et les pélerins rencontrant le pape Ciriaco à Rome.
À gauche : Andrea Riccio, Pasteur trayant une chèvre, vers 1505-1510. Bronze partiellement doré, hauteur 25,5 cm.. Florence, Musée national du Bargello // À droite Giorgione, La Tempête, vers 1500/1503-1505. Toile 82 x 73 cm.. Venise, Gallerie dell'Accademia © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Aldo Manuzio. Il rinascimento di Venezia. Bellini, Carpaccio, Giorgione, Tiziano
Un des précieux livres de cette exposition magnifique, dont l'on ne peut que regretter qu'elle ne sera pas reprise dans une autre institution, parmi la centaine de pièces présentées est le rarissime Organon [graece] d'Aristote (1495), prêt de L'Escorial, imprimé sur parchemin pour le prince de Carpi, Alberto Pio, qui finança l'impression des cinq volumes des écrits du philosophe grec. Ou Carmina de Gregorius Nazanzienus, ancien poète chrétien (1504) qui appartint à Érasme de Rotterdam qui séjourna pendant l'année 1508 à Venise pour surveiller la publication de son anthologie de proverbes : Adagiorum chiliades tres. Le rarissime puisqu'exemplaire unique Libri de re rustica (1514), réunion de traités agronomiques d'auteurs latins, le premier ouvrage à être imprimé sur un papier couleur, ici le bleu azur relevé par les initiales en rouge, nous rappele la découverte de la nature, de la terre ferme, de l'Arcadie, par la cité lagunaire magnifiée par Giorgione et La Tempête ou le bronze partiellement doré d'Andrea Riccio : Pasteur trayant une chèvre.
Développé sur les murs de reproductions des pages de Hypnerotomachia Poliphili, Venise, Aldo Manuzio, XII 1499, gravures de différents maîtres parmi lesquels Benedetto Bordon et le Second Maîtres de Grifo. Au premier plan, la planche dite priapique
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Aldo Manuzio. Il rinascimento di Venezia. Bellini, Carpaccio, Giorgione, Tiziano
Songer à Aldo, c'est naturellement évoquer Hypnerotomachia Polipholi de Francesco Colonna publié au tournant du siècle, en décembre 1499, auquel toute une section est consacrée. Cet ouvrage, le plus célèbre et le plus raffiné de cet imprimeur, raconte l'histoire d'amour de Poliphile qui s'endort, cherchant en songe son amante Polia. Ce titre d'hypnos (songe), eros (amour), mache (bataille) renvoie au voyage initiatique à la recherche du savoir illustré de bois gravés de Benedetto Bordon et du Second Maître de Grifo. Des reproductions des pages de ce paradigme de l'édition courent tout le long des murs de la salle, ouvrage que tout lettré se devait de posséder.
De gauche à droite : Francesco Mazzola dit Parmigianino, Portrait d'homme, 1526. Huile sur bois, 66 x 51,5 cm.. Monte-Carlo, collection privée // Lorenzo Lotto, Portrait de Laura da Pola, vers 1543-1544. Huile sur toile 90 x 75 cm.. Milan, Pinacothèque de Brera // Jacopo Negretti dit Palma il Vecchio, Portrait d'une femme, vers 1520. Huile sur toile 47 x 37 cm.. Lyon, Musée des Beaux-Arts // Le Titien, Portrait d'un gentilhomme (Iacopo Sannazaro ?), vers 1514-1518. Huile sur toile, 85,7 x 72,7 cm.. Londres, Royal Collection Trst / HM Queen Elisabeth II © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Aldo Manuzio. Il rinascimento di Venezia. Bellini, Carpaccio, Giorgione, Tiziano
Quatre toiles en fin de parcours - Parmigianino, Lorenzo Lotto, Palma le Vieux et Titien -, présentés sur un mur rouge trop violant brisant abruptement l'harmonie de la scénographie des murs pastels ou blanc, portraits d'hommes et de femmes, tenant entre leurs mains un ouvrage sorti des presses de ce vénitien d'adoption, rappellent ceux que l'on désignait comme les "lecteurs d'aldes". Comme un fait étrange, ces personnages de haut rang ne nous regardent pas mais ils sont dans un ailleurs, comme encore plongés dans leur lecture silencieuse, cette fusion de l'intimité perceptible dans le tableau de Vincezo Catena : Saint Jérôme dans son cabinet, aux armoires ouvertes et emplies d'ouvrages, la tête soutenue par une main.
Gilles Kraemer (déplacement et séjour à titre personnel)
L'exposition est prolongée jusqu'au 31 juillet 2016
À gauche : Vincenzo Catena, San Girolamo nel suo studio, vers 1510. Huile sur toile 75,9 x 98,4 cm.. Londres, The National Gallery. À droite, trois bronzes de l'atelier de Severo et Niccolò Calzetta de Ravenne, vers 1510-1530 : petit coffre, satyre soutenant une conque marine et encrier sous forme d'un monstre marin et une petite cloche, vers 1540, fonte de l'Italie septentrionale, aux armes de la famille Bembo © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Aldo Manuzio. Il rinascimento di Venezia. Bellini, Carpaccio, Giorgione, Tiziano
Aldo Manuzio. Il rinascimento di Venezia. Bellini, Carpaccio, Giorgione, Tiziano
19 mars - 19 juin 2016 - Gallerie dell'Accademia - Venise
Projet scientifique du Centro Internazionale di Studi di Architettura Andrea Palladio. Commissariat de Guido Beltramini, Davide Gasparotto & Giulio Manieri Elia
Catalogue. 377 pages, 150 illustrations, édition en langue italienne et anglaise. Éditions Marsilio. 39 euros prix exposition. Mise en page subtile, parfaite reproduction iconographique, imprimé dans un corps de caractère Griffo Classico noir très lisible et non grisé comme malheureusement trop couramment, catalogue scientifique et grand public indispensable.
Internet www.mostraaldomanuzio.it et http://www.gallerieaccademia.org/
Ringraziamenti a CPL (Francesco Sala)
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Aldo Manuzio. Il rinascimento di Venezia. Bellini, Carpaccio, Giorgione, Tiziano