Rêveries italiennes. Watteau et les paysagistes français au XVIIIe siècle. Musée des Beaux-Arts de Valenciennes
Jean Antoine Watteau, La Chute d'eau, huile sur toile, 52 x 64 cm.. Don de M. et Mme Lionel Sauvage à l'Association des Amis américains du Louvre, dépôt du musée du Louvre au musée des Beaux-Arts de Valenciennes © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Rêveries italiennes. Watteau et les paysagistes français au XVIIIe siècle, musée des Beaux-Arts de Valenciennes
Comment une rêverie italienne de Jean Antoine Watteau (1684-1721) se transforma-t-elle en un beau conte de fées pour le musée des Beaux-Arts de Valenciennes ? Réponse en vous rendant dans la ville natale de ce peintre auquel ce musée, réouvert fin septembre 2015 après une année de travaux intérieurs, consacre une exposition.
De Watteau, l'on connaît le merveilleux dessinateur à la sanguine, le peintre trop cantonné dans le genre "scènes galantes". Mais, l'autre facette de cet artiste, celle du paysagiste sensible à la nature, à la nature italienne et aux artistes vénitiens, s'associe-t-elle spontanément à son nom ? C'est ceci qu'explore Rêveries italiennes, sous le commissariat scientifique du spécialiste américain du Valenciennois, Martin Eidelberg. Avec une projection du paysage italien dans les œuvres de Boucher, Fragonard et Hubert Robert en fin de parcours.
Attribué à un membre de la famille Sylvestre, La Cascade de Tivoli, dessin à la sanguine, 27 x 38 cm.. Montpellier, musée Fabre © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Rêveries italiennes. Watteau et les paysagistes français au XVIIIe siècle, musée des Beaux-Arts de Valenciennes
Tout découle de La Chute d'eau dont Études d'homme jeune (Stockholm, Nationalmuseum), contre-épreuve se rapprochant d'un des modèles du tableau permet une datation aux alentours de 1715. Acquis par Jean de Juliene, le plus important collectionneur de Watteau du vivant de l'artiste, ce tableau est gravé au burin par Jean Moyreau en 1729 pour L'Album Julienne, ouvrage initié par ce collectionneur. Acheté par une famille espagnole, vendu à un collectionneur français en 1937 par la galerie Charpentier, il intègre une collection norvégienne dans les années 1960. Le 7 juillet 2009, il réapparaît chez Christie's Londres. Il fut exposé une seule fois, à Paris, galerie Charpentier pour Plaisir de France, en 1951.
Ce tableau offert par Ariane et Lionel Sauvage à l'Association des Amis américains du Louvre, mis en dépôt au musée des Beaux de Valenciennes par le musée du Louvre, est le point de départ de l'exposition. Martin Eidelberg s'est interrogé sur le site représenté sur ce tableau. Pour lui, il s'agit indubitablement d'une des cascades de Tivoli, dans la campagne romaine. Seconde interrogation : comment ce peintre put-il retranscrire ce lieu, largement peint - le musée Cognac-Jay a consacré à ce thème l'exposition Tivoli. Variations sur un paysage au XVIIIe siècle en novembre 2011 - alors qu'il ne s'est jamais rendu en Italie ? Pour Martin Eidelberg "il s'est approprié l'expérience d'un tel voyage par procuration, par l'intermédiaire de ses nombreux amis et confrères qui l'ont fait [le voyage italien]", s'appuyant sur un dessin à la sanguine attribuable à l'un des membres de la famille d'Israël Sylvestre : La Cascade de Tivoli, conservé au musée Fabre de Montpellier et présenté à côté du tableau. L'on retrouve le même endroit surélevé où Watteau plaça deux couples et un berger et ses moutons, la plongée vers la chute d'eau motif principal de la toile au centre de la composition et, au fond, les édifices.
François Stella, La Cascade de Tivoli, dessin à la plume, encre brune, lavis et rehauts de blanc, 42 x 28,3 cm.. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques // Jan Brueghel l'Ancien, Les Cascades de Rivoli, dessin à la plume, encre et lavs, 33,7 x 23 cm.. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Rêveries italiennes. Watteau et les paysagistes français au XVIIIe siècle, musée des Beaux-Arts de Valenciennes
Des dessins de Jean Brueghel l'Ancien, François Stella et de Gaspard Dughet prolongent l'influence si inspirante de ce lieu incontournable, de cette merveille naturelle pour les peintres, les dessinateurs et les graveurs.
Vues de l'exposition Rêveries italiennes. Watteau et les paysagistes français au XVIIIe siècle, musée des Beaux-Arts de Valenciennes © Le Curieux des arts Gilles Kraemer
Cette interrogation sur cette "rêverie italienne" n'est pas unique dans l'œuvre de Watteau comme le démontre avec conviction Martin Eidelberg. Elle se poursuit avec La Promenade sur les remparts et ses vues romaines qu'il a identifiées comme celles du Campo Vaccino et des jardins Farnese, La Ruine et l'intérieur du Colisée, La Mariée de village avec l'église Sant'Andrea in via Flaminia. Watteau étudia et copia les dessins de Nicolas Vieughels au retour de ce dernier d'Italie, emprunta des motifs romains à Francisque Millet fils avec lequel il collabora par l'ajout de deux personnages pour Le Flûtiste.
Vues de l'exposition Rêveries italiennes. Watteau et les paysagistes français au XVIIIe siècle, musée des Beaux-Arts de Valenciennes // Jean Antoine Watteau, d'après Campagnola, Paysage avec une vieille femme tenant une quenouille, dessin à la sanguine, 20,5 x 31,8 cm.. Metropolitan Museum of Art, legs de Walter C. Baker, 1971 // Domenico Campagnola, Paysage avec une vieille femme tenant une quenouille, dessin à la plume et encre, 25,5 x 37cm.. Metropolitan Museum of Art, legs de Walter C. Baker, 1971 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer
La plus belle des inspirations de Watteau fut celle des dessins des maîtres vénitiens, Titien et surtout Domenico Campagnola (vers 1500-vers 1564), largement collectionnés à Paris par le banquier Everhard Jabach puis par l'amateur d'art Pierre Crozat. La collection de ce dernier, qui posséda 133 dessins de Campagnola, constitue une source pour Watteau qui en réalisa de nombreuses copies dont celles du Paysage avec une vieille femme tenant une quenouille et Paysage avec bergers, exposées à côté des Campagnola venus du Met New York et du Louvre. A elle seule, cette réunion de ces quatre dessins mérite le voyage de Valenciennes. Comme le dessin du Titien Paysage à la chèvre confronté à sa copie à l'eau-forte par le comte de Caylus, ami de Watteau.
Vues de l'exposition Rêveries italiennes. Watteau et les paysagistes français au XVIIIe siècle, musée des Beaux-Arts de Valenciennes © Le Curieux des arts Gilles Kraemer
Watteau exploita ces dessins, y puisant des motifs d'édifices que l'on retrouvera dans La Lorgneuse qui appartint à Jean de Julienne (répparue en vente publique le 9 juillet 2015 chez Christie's Londres) ou dans Diane au bain venue du Louvre.
Cette fascination des artistes français pour les Vénitiens se poursuit chez Jean-Baptiste Pater (Le Concert champêtre), François Boucher copiant Paysage avec bâtiment sur une colline de Campagnola. L'Italie et ses paysages devient source d'émotions et d'inspirations pour Claude-Joseph Vernert, Charles-Joseph Natoire, Boucher (Vue des cascades de Tivoli) et Claude Joseph Vernet (Les Cascatelles de Tivoli, dessin de la Fondation Custodia). Et Hubert Robert, qui demeura sept années à Rome, dont les huiles Caprice avec ruines romaines et Vue pittoresque du Capitole concluent cette grande exposition, ouvrant une pertinante approche des sources d'inspiration du Valenciennois.
illes Kraemer
Rêveries italiennes. Watteau et les paysagistes français au XVIIIe siècle
25 septembre 2015 - 17 janvier 2016
Musée des Beaux-Arts de Valenciennes - 59300 Valenciennes
Commissariat scientifique : Martin Eidelberg
Commissariat général : Emmanuelle Delapierre, ancienne directrice du musée de 2004 à 2014 (elle a pris les fonctions de directeur du musée des Beaux-Arts de Caen en mars 2015, succédant à Patrick Ramade auquel elle avait succédé à Valenciennes ), Vincent Hadot, directeur du musée et Virginie Frelin-Cartigny, attachée de conservation.
Catalogue. 164 pages. 130 illustrations. Éditions Snoeck. 29 euros.
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