Entretien avec Patrice Deparpe, commissaire de l'exposition "Matisse et la gravure : l'autre instrument". Musée Matisse au Cateau Cambrésis
Exposition Matisse et la gravure : l'autre instrument. Musée Matisse au Cateau Cambrésis © Gilles Kraemer Le Curieux des arts, visite presse 16 octobre 2015
Gilles Kraemer : Patrice Deparpe, directeur du musée départemental Matisse au Cateau-Cambrésis, vous êtes le commissaire de l'exposition Matisse et la gravure : l'autre instrument présentée dans cette institution. Étonnant titre pour cette exposition d'estampes présentant des lithographies et des linogravures à côté de pointes sèches, eaux-fortes, aquatintes et aquatintes au sucre, monotypes, bois, pochoirs, sérigraphies !
Patrice Deparpe : La phrase qui a guidé mon choix fut celle de Marguerite Duthuit, la fille de l'artiste : "Il dessine, voilà tout, avec de nouveaux instruments". Phrase extraite de l'avant-propos du catalogue Une autre langue : Matisse et la gravure, exposition de la fondation parisienne Mona Bismarck en 2010. Nous avons souhaité présenter toutes les techniques usitées par Matisse avec une vision des supports et des matrices.
Cette exposition apporte un nouveau regard, un autre regard sur le peintre dont vous relevez dans le catalogue "que son Œuvre Gravé, qui revêt pourtant un caractère primordial, est trop souvent ignoré. Il apparaît impossible pour qui veut découvrir, comprendre, étudier l'œuvre de Matisse de ne pas envisager la dimension essentielle qu'apporte la gravure dans la palette des arts développés par l'artiste". L'adoption d'un code couleur des murs des salles - vert, rouge, jaune et blanc - et une salle introductive dans laquelle sont évoquées toutes les techniques de l'estampe auxquelles Henri Matisse s'est confronté puisqu'il s'est intéressé à la pointe sèche dès 1900, à l'âge de 31 ans, y contribuent largement.
En effet, nous avons souhaité démystifier le côté obscur de l'estampe. Matisse, nous le connaissons comme peintre de la couleur, comme sculpteur. Imagine t-on que le Catalogue raisonné de son Œuvre Gravé, établi par Marguerite Duthuit-Matisse et Claude Duthuit, répertorie 829 estampes ! Qu'il a illustré 90 livres. C'est un véritable continent comme disait Marguerite en parlant du travail de l'estampe chez son père. Les tirages sont limités à peu d'exemplaire, six, dix, quinze, vingt-cinq, parfois un seul. La Danse (1935-1936), eau-forte en couleurs, fut tirée à 50 exemplaires : c'est peu pour toute la planète ! Nous devons comprendre que le rôle joué par l'estampe chez Matisse ne doit pas être dissocié en fait de sa peinture ou de sa sculpture.
Vues de l'exposition Matisse et la gravure : l'autre instrument. Musée Matisse au Cateau Cambrésis © Gilles Kraemer Le Curieux des arts, visite presse 16 octobre 2015
L'estampe qu'il a abordée dès 1900 jusqu'à la parution en 1953 d'Apollinaire d'André Rouveyre pour lequel il réalisé la gravure, les lithographies et les linogravures, n'apparaît-elle pas comme un fil, une continuité dans son travail ?
Prenez la peinture, la sculpture, l'estampe, la tapisserie, réunissez le tout et chacune de ces disciplines est un morceau de lui. Le tout donne... Matisse. Il avance sur tous les fronts, dans une notion d'équilibre dans son travail. La pratique du noir et blanc de l'estampe vient en parallèle avec la pratique de la couleur dans ses tableaux.
Les estampes présentées ici apporte peu de tâches de couleurs. L'eau-forte La Danse et l'aquatinte Marie-José en robe jaune (1950) sont les deux uniques estampes en couleurs dans cette exposition, dans ce monde de noir et de blanc.
C'est étonnant et aussi paradoxal. Toute sa recherche sur le noir et le blanc a pour but d'affirmer l'une de ses revendications qui est celle que "le noir est une couleur" propos de Matisse rapporté dans Derrière le miroir de décembre 1946. Il peut y avoir des variations dans le noir par l'adjonction d'une couleur, d'un bleu par exemple.
Vues de l'exposition Matisse et la gravure : l'autre instrument. Musée Matisse au Cateau Cambrésis © Gilles Kraemer Le Curieux des arts, visite presse 16 octobre 2015
Son œuvre gravé recense quatre bois gravés. Tous exposés ici, en fin de parcours - Le Grand Bois, 1906; Petit Bois clair, 1906; Petit Bois noir, 1906; Le luxe, 1907.
Oui, et deux sont présentés à côté de leur matrice pour Le Grand Bois, prêt du Victoria and Albert Museum, Londres et Petit Bois clair, prêt de la Bibliothèque nationale de France, Paris. C'est la première fois que ces deux matrices en bois sont montrées. À ce côté exceptionnel, s'ajoutent d'autres matrices de Matisse, présentées pour la première fois provenant de la famille de l'artiste. Sans le soutien indiscutable de celle-ci, cette exposition n'aurait pas été possible.
Le musée Matisse du Cateau-Cambrésis ne serait-il pas précurseur ? Je pense à Matisse la couleur découpée. Une donation révélatrice présenté ici [9 mars - 9 juin 2013] me faisant songer à l'exposition Henri Matisse. The Cut-Outs, vue au MoMA, New York [25 octobre 2014 - 9 février 2015] après avoir été présentée à Londres, à la Tate Modern. Cette institution catésienne serait-elle le détonateur d'autres expositions Matisse ?
Mes collègues outre-Manche et outre-Atlantique s'étaient déplacés lorsque furent présentés ici les éléments en papiers gouachés, découpés, non utilisés dans ses œuvres par Henri Matisse, donation faite par la famille de l'artiste au musée en 2012. C'est le rôle scientifique du musée départemental Matisse d'être novateur et précurseur de l'œuvre de cet artiste et d'être ainsi présent sur la scène internationale. C'est nous, par exemple, qui avons fait découvrir l'œuvre de Matisse et des esquimaux Les esquimaux vus par Matisse [7 novembre 2010 - 6 février 2011].
Vues de l'exposition Matisse et la gravure : l'autre instrument. Musée Matisse au Cateau Cambrésis © Gilles Kraemer Le Curieux des arts, visite presse 16 octobre 2015
Une œuvre à retenir !
La plus porteuse et résumant bien le sens de l'œuvre de Matisse est Masque blanc sur fond noir, en réalité noir sur blanc, datant de 1949-1950, exposé à côté de sa matrice en cuivre. Par les fauves il commence à travailler avec les masques africains. Ouvert sur le monde il s'inspire de l'Afrique, des esquimaux (le saint Dominique de la chapelle de Vence est directement issu des masques esquimaux), de la Chine et de sa calligraphie. Dans cette aquatinte, c'est la simplification absolue du trait. La boucle est bouclée puisqu'en 1950 il revient vers 1905, dans cette vibration dans le noir faite par ses gravures blanches.
Gilles Kraemer
Matisse et la gravure : l'autre instrument.
18 octobre 2015 - 6 mars 2016
Musée Matisse - 59360 Le Cateau-Cambrésis
http://museematisse.lenord.fr/
Catalogue. 256 pages. Textes de Patrice Deparpre, Claude Duthuit, Céline Chicha-Castex et de Marie-Thérèse Pulvénis de Séligny en français et traduits en anglais. La liste des œuvres exposées est classée par technique : la gravure en creux (pointe sèche, eau-forte, aquatinte), procédé à plat (lithographie) et gravure en relief (xylographie et linogravure). Éditions SilvanaEditoriale. Prix 35 euros.
Les Esquimaux vus par Matisse. Georges Duthuit, Une Fête en Cimmérie. Du 7 novembre 2010 au 6 février 2011.http://museematisse.lenord.fr/fr/Expositions/Esquimaux/tabid/323/Default.aspx
Les trains Intercités Paris-Maubeuge desservent la gare du Cateau-Cambrésis les samedis, dimanches et jours fériés
aller : Paris-Nord 10h 19 / Le Cateau 11h 54,
retour : Le Cateau 18h 02 / Paris-Nord 19h 41 (samedi et dimanche), Le Cateau 17h 03 / Paris-Nord 18h 41 (dimanche uniquement.).
Pour toute information sur le tourisme en Nord-Pas de Calais, rendez-vous sur le site www.tourisme-nordpasdecalais.fr..
© Gilles Kraemer Le Curieux des arts, MoMA, New York, 30 novembre 2014