Moderne ! Des réponses dans un désenchantement du monde. La 13e biennale de Lyon. 2015
Ito Barrada, Plumber assemblage (assemblage de plombier), 2009, série photographique. Exposition La vie moderne. Biennale de Lyon, musée d'Art contemporain © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, septembre 2015.
Pour sa 13 édition, la Biennale de Lyon s'invite "moderne" selon le terme retenu par Thierry Raspail, son directeur artistique soulignant que "moderne pour les historiens désigne aussi bien la période Néolithique que l'Âge du bronze et apparaît dans la querelle de Charles Perrault entre les Anciens et les Modernes. Si le moderne actuel ne croit plus aux promesses du bonheur, nous sommes pro-modernes, modernes tardifs ou modernes sans l'être. Si le moderne peut paraître désuet, le récit qui le porte est radicalement actuel. Voici donc le fil rouge de cette 13e biennale de Lyon, cet intitulé "moderne" choisi et valable pour les biennales de 2017 et 2019.
Yuan Goan-Ming, Lanscape of energy, 2014. Exposition La vie moderne. Biennale de Lyon, La Sucrière © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, septembre 2015
Ralph Rugoff lors de la présentation presse de la 13e Biennale de Lyon 2015, La vie moderne, avec Thierry Raspail © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Lyon, 8 septembre 2015.
En cette édition 2015, le commissaire invité, Ralph Rugoff, directeur de la Hayward Gallery à Londres a souhaité titrer la vie moderne l'exposition présentée en trois lieux, La Sucrière, Le MAC et le musée des Confluences - à l'architecture déroutante dans son extérieur et à l'intérieur perturbant par le gigantesque de ses couloirs et la prédominance de son escalator sans fin rappelant celui de la gare de Kyoto - où l'on regardera vite la vidéo sur quatre écrans de Yaun Goang-Ming Before Memory, très désordonnée et bruyante. Il faudra mieux ne retenir de ce même artiste taiwanais que la vidéo Landscape of energy projetée à La Sucrière, très long et beau panoramique sur des résidences abandonnées et la côte balnéaire très colorée de South bay, dominée par une centrale nucléaire. Cette scène de loisir balnéaire, hantée par l'image de la production de l'énergie nucléaire, est le visuel de cette biennale. Insouciance juxtaposée au funeste possible de notre environnement. Image aussi perturbante, mais en moins trash que ne le furent les visuels de 2013 avec des jeunes gens, garçons et jeunes filles, yeux au beurre noir ou mangeant des chewing-gum.
Vues de l'exposition La vie moderne. Biennale de Lyon, La Sucrière © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, septembre 2015
Mais, qu'entendre par moderne ? Réponse humoristique de Ralph Rugoff : "Ceci me fait penser à une date de péremption car ceci fait cinquante ans que l'on annonce la fin de l'ère moderne. Le modernisme est devenu fantasmatique." Seconde définition du commissaire permettant de saisir, plus simplement, et sans les circonvolutions de curateurs, la définition qu'il propose pour moderne : "60 artistes venus de 30 pays explorent tout un éventail de sujets, sujets qui caractérisent notre vie moderne, notre vie présente. Certains vont s'intéresser à ce que l'on peut lire dans les journaux comme la crise financière ou l'identité nationale ou l'immigration, d'autres vont s'intéresser à la façon dont la technologie change notre vie quotidienne à la maison ou dans la ville. Et d'autres vont s'intéresser à la façon dont la technologie a altéré notre relation avec la nature. Ou même la relation entre les hommes". Réponse simple et précise.
L'installation labyrinthique d'Enigma de Liu Wei, dans son processus d'exploration et par laquelle l'exposition de La Sucrière commence, nous perturbe dans cette perte de tout repère, induisant un sentiment d'errance.
Difficile de suivre le fil d'Ariane pour s'en sortir avant de déboucher sur le vaste, trop vaste espace où aura de Céleste Boursier-Mougenot, une ré-interprétation d'averse (2013) est totalement perdue dans cette immensité de cathédrale !
Prêtez plus qu'attentivement l'oreille et essayez de n'être pas troublé par les averses aléatoires des noyaux de cerises d'aura. A quelques mètres, une voix off égrène l'histoire insolite d'objets sportifs, disposés par Laurent Prévieux sur des gradins. Petite anthologie de la triche (création pour cette biennale) telles une raquette de tennis, une balle de golf ou une batte de baseball... . Entendre ce "Géo Trouvetou puissance 120", qualifié ainsi par Vincent Delaury dès 2012 dans L'Œil, bâtir d'une façon si sérieuse une histoire autour de ceux-ci, se goûte avec délectation et réel plaisir. Comme une souvenance de ses Lettres de non-motivation.
Vues de l'exposition La vie moderne. Biennale de Lyon, La Sucrière © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, septembre 2015
The personnel effects of Kim Dotcom de Simon Denny (qui représente la Nouvelle-Zélande à la 56e Biennale de Venise 2015 sur les sites de la Marciana et de l'aéroport Marco Polo) n'est pas aussi ludique mais plus terre à terre dans sa représentation d'un autre inventaire d'objets, ceux confisqués en 2012 par la police néo-zélandaise, chez Kim Schmitz, alias Kim Dotcom, condamné pour violation de propriété intellectuelle, blanchiment d’argent et racket, délits qu’il aurait commis en lien avec sa plate-forme de partage de fichiers Mégaupload. L'on touchera une autre réalité d'un monde moderne que l'on ne souhaite pas, un monde qui abandonne ses objets, tels des pneus éclatés que Mike Nelson est allé ramasser le long de l'autoroute traversant Lyon. A7 (Route du soleil), ré-interprétation de M 6 (2013) - vous ne risquez pas de passer à côté, tellement l'odeur du caoutchouc est prenante - se voit comme des sculptures déchiquetées posées sur des socles de fer et de béton entre lesquels l'on circule. C'est beau, fort, prenant, une image puissante de cette biennale, qui m'apparaît plus en retrait que celle de 2013, en ce même lieu. Pneus que l'on retrouvera au MAC avec Ed Ruscha et ses peintures Psycho Spaghetti Western et Gators. J'ajouterai une préférence pour Hicham Berrada et Mesk-elli (ou jasmin de la nuit) que nous avions vu dans une galerie parisienne, au printemps 2015, et dont il a agrandi l'installation pour cette expérience olfactive et nocturne.
Vues de l'exposition La vie moderne. Biennale de Lyon, musée d'Art contemporain © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, septembre 2015
Ce monde, dans une tendance peu encline à l'espérance - thème très présent aussi dans l'exposition de la 56e Biennale de l'art de Venise -, nous le retrouverons au MAC (musée d'art contemporain) à Villeurbanne dont les œuvres présentées sont majoritairement plus puissantes qu'en quai de Saône. En accueil, les impressions numériques de la berlinoise Lucie Stahl, des paquets alimentaires, canette d'une boisson américaine et d'autres objets d'un inventaire de poubelles. Des éléments d'une sur-consommation visibles dans la vidéo de Miguel Angel Ríos The Ghost of Modernity Lixiviados lorsque son étrange cube transparent flotte au-dessus d'une décharge ou chez le taiwanais Lai Chih-Sheng lorsqu'il nous incite à nous promener sur une minuscule et vertigineuse plate-forme surplombant les restes du montage de cette Biennale. Images d'un recyclage donné à voir de très haut, comme en une distanciation, un retrait, un regard de spectateur cherchant avant tout à ne pas perdre l'équilibre et dans l'angoisse de s'abîmer dans cette mer de cartons et de bois de Border_Lyon. Nettement plus compréhensible qu'il parait que le fond de l’être est en train de changer ? d'Emmanuelle Lainé. Monde où l'on trompe son temps d'un espoir de travail en présentant ce dont on est capable, son métier, en créant un objet non utilitaire construit de tuyaux, robinets et pommeaux de douche comme en fabriquent les plombiers de Tanger dont Yto Barrada photographie ces étonnantes sculptures. Gilles Kraemer
envoyé spécial
La vie moderne
13e biennale de Lyon
La Sucrière, Le Mac, Le musée des confluences
10 septembre - 3 janvier 2016
Voir aussi Rendez-vous 15 (10 septembre - 8 novembre 2015) à l'Institut d'Art Contemporain à Villeurbanne, rendez-vous de la jeune création contemporaine française et internationale, de Maxime Lamarche et Course contre l'orage dans un jeu entre équilibre et ré-assemblage d'un voilier à la vidéo It Won't Be Long Now de Nicolas Garait-Leavenworth dans une traversée du Pacifique à bord d'un porte-conteneurs.
Ce fabuleux monde moderne (10 septembre 2015 - 3 janvier 2016) au Plateau, espace d'exposition de l'Hôtel de région, présente des oeuvres du musée d'Art contemporain, de Marina Abramović et Uwe Laysiepen à Laurence Weimar, institution dont le directeur est Thierry Raspail.
Veduta dans divers lieux : Chassieu, médiathèque ; Givors, La Mostra ; Lyon 7e (quartier de Gerland), Oullin, La MéMO - Médiathèque d'Oullins ; Saint-Cyr-au- Mont-d'or, salle des vieilles tours ; Vaulx-en-Velin, centre culturel Charlin Chaplin. A Lyon : Fondation Bullukian, Musée africain.
Résonance à Chambéry, Hauteville-Lompnes, Villeurbanne, Vénissieux.....
et Anish Kapoor au couvent de La Tourette www.lecurieuxdesarts.fr/2015/09/en-un-reve-exauce-du-frere-marc-chauveau-le-dialogue-silencieux-d-anish-kapoor-avec-le-corbusier-couvent-de-la-tourette.html