Entre Pavillon de France à la 56e Biennale de l'art de Venise et palais de Tokyo. Un nouveau Songe de Poliphile selon Céleste Boursier-Mougenot ? Brèves de la 56ème Exposition internationale d'Art – La Biennale di Venezia 2015 (VI).
Céleste Boursier-Mougenot, rêvolutions , Pavillon français, Venise © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, journées presse, mai 2015, Biennale de Venise, 56e exposition Internationale d'Art
Étonnante considération à l'égard de Venise, de l'acqua alta qui, plusieurs fois par an, envahit et inonde certains quartiers de la citė, en dénommant ainsi une exposition ! Une mise en eau du palais de Tokyo, une inondation de ses salles pour une promenade en barque. Et, en plus, le regardeur est amener à participer, à ramer ! Pas facile d'ailleurs. Étrange titre acquaalta dont l'on ne sait ce qu'un vénitien du sestiere di San Marco ou du Dorsoduro en pensera ! De l'autre côté, un hymne et une considération de la nature au diapason des enjeux climatiques, pour sa participation comme représentant de la France à cette 56e biennale de l'art de Venise.
Deux expositions de Céleste Boursier-Mougenot (1961), acquaalta à Paris, rêvolutions à Venise. Il ne s'est cependant pas attaqué au vénérable bâtiment parisien comme il l'a pratiqué sur le Pavillon vénitien, qui n'en peut plus et accuse son siècle, faisant ôter la verrière, pourquoi pas ! - s'il pleut il pleuvra à l'intérieur - élargir considérablement les portes des trois salles, de quatre mètres sur quatre, transformant les trois pièces en amphithéâtre dans lesquelles l'on peut s'asseoir ou s'allonger pour assister à la danse de l'arbre, des arbres, selon l'endroit choisi.
Céleste Boursier-Mougenot, rêvolutions , Pavillon français, Venise © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, journées presse, mai 2015, Biennale de Venise, 56e exposition Internationale d'Art
rêvolutions. Trois arbres, trois pins. L'un à l'intérieur du Pavillon français, les autres sur l'esplanade, entre Pavillon britannique (à oublier très vite pour les cigarettes étonnamment implantées dans les sculptures de Sarah Lucas; le seul point à retenir restera la couleur jaune des murs des salles de cet édifice s'harmonisant à celle des sculptures), Pavillon canadien, Pavillon allemand et la grande allée. Jusque là, rien d'extraordinaire dira-t-on.
Mais les arbres bougent ! Cette forêt serait-elle enchantée ? Situation expérimentale inédite que transHumUs. Comme l'évoqua Emma Lavigne, commissaire du Pavillon, " c'est une expérience dont on ne connaissait pas le résultat. Vous allez faire l'expérience d'un état de nature totalement inédit ". Ce n'est donc nullement une propension ou un excès de spritz ou d'Asti, deux boissons si appréciées lors des vernissages de la Sérénissime, qui vous a tourné les sens. Posés sur une plate-forme mobile, inclus dans une énorme motte de terre, ils se meuvent, un mètre par minute nous dira-t-on. Un dispositif implanté autour de la motte, piloté par un ordinateur, comporte des capteurs environnementaux. Les arbres ne bougent pas d'une façon aléatoire ni provoquée d'avance. Leur trajectoire se trouve déterminée par des sondes mesurant en permanence les variations du flux de la sève, leur métabolisme interne et leur sensibilité à la lumière et à l'obscurité. La nuit, ils s'arrêtent. Tout dépend de la photosynthèse, lorsqu'ils passent de soleil à ombre. Le flux de leur sève influe sur le déplacement, la rotation, les directions, selon un périmètre qui a été cependant défini. L'un est condamné à rester dans le pavillon et à regarder ses deux confrères qui ont la chance de profiter du large espace de l'esplanade. Ils font ce qu'ils veulent avec des limites imposées. Ils ne risquent pas de descendre la grande allée conduisant vers l'entrée des Giardini.
Céleste Boursier-Mougenot, rêvolutions , Pavillon français, Venise © Le Curieux des arts Antoine Prodhomme, journées presse, mai 2015, Biennale de Venise, 56e exposition Internationale d'Art
Magnifique prouesse technique que cette installation imaginée par Boursier-Mougenot et retranscrite matériellement par des spécialistes en robotique, des ingénieurs, des scientifiques et des botanistes.
Une belle vision chorégraphique, comme la métaphore d'un individu libre de circuler. " Le pari de faire danser et même penser les arbres comme le soulignait Antonin Baudry président de l'Institut français, de façon expérimentale et maîtrisée. " lors de la présentation du Pavillon, dans le "doux analogisme entre le rêve et le côté sauvage de toutes révolutions dans une fonction duale de transformer le monde et de le critiquer et de le faire rêver. ".
Propos auxquels Emma Lavigne rajoutait que " Céleste a imaginé rêvolutions comme un cirque où le vivant est arraché à la terre et mis en scène. C'est aussi une arène où un combat se livre, celui de la transmutation de la nature en instrument. Il y a un déracinement identitaire qui s'opère également. Nous avons imaginé le pavillon Francia comme un asile possible, ouvert pour le repos, pour ceux qui, comme Roland Barthes dans le « Discours amoureux » souhaitent revenir parfois à leur origine, à leurs racines. "Du milieu de la tempête qui me déracine , me dépossède de mon identité, je veux parfois revenir à l'origine, à mon origine" . Le visiteur du pavillon Francia peut venir en pause, s'enraciner et contempler ces chimères, hybridations de la machine et de la nature. Il s'agit d'écouter l'harmonie des résonances d'un monde en mutation sillonné de dissonances, d'être véritablement à l'écoute. ".
Céleste Boursier-Mougenot, rêvolutions , Pavillon français, Venise © Le Curieux des arts Antoine Prodhomme, journées presse, mai 2015, Biennale de Venise, 56e exposition Internationale d'Art
Convocation de Roland Barthes, certes, mais également d'un autre écrivain français qui séjourna à Venise : Marcel Proust. Pourquoi pas ! La ministre de la Culture, Fleur Pellerin, y percevait " un renvoi au jardin proustien, fabuleux de fruits et d'oiseaux, de pierres et de couleurs. Avec ces arbres mouvant au rythme de leur sève, évoluant au rythme des sons, au bruissement de la nature. Voilà une rêvolutions qui illustre l'imaginaire et la force subversive de l'art. Cette œuvre onirique et utopique porte un idéal cher à notre cœur, celui d'un vivre ensemble harmonieux, qui marque l'engagement de la France pour le changement climatique.[...] À l'image d'un projet qui allie créativité et innovations technologiques, grâce aux calculs des chercheurs pour trouver la vitesse de la montée de la sève, et imaginer un mécanisme susceptible de mettre littéralement les forêts en marche comme dans Shakespeare, et de donner vie à la force des idées. Chercheurs et artiste ont relevé le défi invraisemblable de Macbeth. ". Qui connaît parfaitement son Giuseppe Verdi, sait comment la forêt de Birnam avance.
Céleste Boursier-Mougenot, rêvolutions pour le pavillon français à la 56ème Biennale de Venise 2015. Courtesy de l’artiste et Galerie Xippas, Paris ; Paula Cooper Gallery, New York ; Galerie Mario Mazzoli, Berlin © Laurent Lecat
Céleste Boursier-Mougenot, acquaalta, Palais de Tokyo, Paris © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, juin 2015
Magnifique prouesse aussi d'acquaalta au palais de Tokyo, dans cette inondation du niveau 2 de cette institution pour que les visiteurs puissent y naviguer dans de grandes barques, quittant le jour pour l'obscurité, pour une déambulation jusqu'à une île rocheuse. J'y vois Cythère mais une Cythère plongée dans l'obscurité. Mais aussi l'autre rive, celle du monde des morts, après avoir franchi le Styx, étant nous même le Charon de notre barque sur cette eau noire. Pour Daria de Beauvais, commissaire de cette exposition, " Cet univers fantasmagorique évoque autant la mythologie antique (de Narcisse se noyant dans son reflet à Ulysse résistant au chant des sirènes) que le cinéma (la fuite en barque des enfants dans « La Nuit du Chasseur »). ". Définir aussi un zombiedrone, " un système de traitement du signal vidéo crypte les images, ne laissant apparaître sur l'écran que les parties en mouvement dans le cadre. Tout le reste se fond dans un noir opaque ''.
A chacun d'imaginer, de rêver, cerné par des images mouvantes le long des parois. Mais, " ce son lancinant, provenant de la conversion du flux des images en un continuum " est lassant... . Trop trop lassant et pesant. La rêverie est ennemie du bruit.
Un peu de silence... pour que l'on puisse entendre, si l'on poursuit plus longtemps son songe, chanter au lointain les oiseaux ayant élu demeure dans les pins vénitiens de Boursier-Mougenot. Céleste, un nouveau Poliphile? L'Hypnerotomachia Poliphili ne fut-il pas publié à Venise, chez Alde Manuce en 1499 ? Relisez donc sa traduction parue en France, en 1546, sous le titre de Discours du Songe de Poliphile déduisant comme amour le combat à l'occasion de Polia.
Gilles Kraemer & Antoine Prodhomme
déplacement et séjour à titre personnel à Venise
Céleste Boursier-Mougenot, acquaalta, Palais de Tokyo, Paris © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, août 2015
rêvolutions - 9 mai - 22 novembre 2015 - Pavillon de France, Giardini, Venise - Biennale de Venise, 56e exposition international d'art, participation nationale
acquaalta - 24 juin - 13 septembre 2015 - Palais de Tokyo, Paris
Remerciements à Thomas Patrix chargé de production de l'agence Eva Albarran & Co, agence participant à la production de l'exposition rêvolutions.
Céleste Boursier-Mougenot participe à la 13e Biennale de Lyon, à l'exposition La vie moderne. Du 10 septembre 2015 au 3 janvier 2016.
Pavillon britannique, Venise © Le Curieux des arts Antoine Prodhomme, journées presse, mai 2015, Biennale de Venise, 56e exposition Internationale d'Art