Les temps de la répétition dans les couleurs, le noir et le blanc. De Bernard Piffaretti à Marina Abramovic au Frac Franche-Comté
Vidéo de Pierrick Sorin, toiles de Bernard Piffaretti, installation de Claude Closky, Frac Franche-Comté, Besançon © photographie Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse février 2015
La Cité des arts à Besançon a ouvert ses portes, en avril 2013, le long du Doubs. Son architecte : Kengo Kuma qui signa également les plans du Frac Provence-Alpes-Côte d'Azur à Marseille. D'un côté, le nouveau Conservatoire, de l'autre un ancien bâtiment industriel en brique abritant le Frac, encastré dans une structure en bois. Un toit ondulé relie ces deux édifices. Comme le rappelle Sylvie Zavatta, directrice du Frac, « la collection de ce Fonds régional, abritée précédemment dans le musée de Dole, s'est construite autour de la problématique du temps, celui de la mémoire, de la durée, de la répétition, de la dimension sonore et autres, dans une transdisciplinarité, le temps permettant ces dialogues ». « Sans oublier, puisque nous sommes en cette cité bisontine, l'ancrage historique de l'industrie horlogère en terre franc-comtoise ».
Deux expositions cet hiver autour de la répétition, l'une des composantes du temps. L'une monographique avec Bernard Piffaretti Juste retour (des choses et des mots), l'autre thématique avec l'exposition collective La Répétion. Autour du corps, du corps à l'épreuve du temps et de la durée, dans son travail, dans la mécanique du geste, l'exception tenue dans la seconde exposition étant celle de Composition décorative (1936) d'Augustin Lesage (1876-1954) se situant dans le lien inconscient de la répétition de ses signes géométriques et stylisés, toile historique venant du LaM, d'autant plus remarquée qu'il s'agit de la seule toile en couleurs dans le parcours de noir et de blanc des six espaces de La Répétition.
Exposition Bernard Piffaretti. Juste retour (des choses et des mots), Frac Franche-Comté, Besançon © photographies Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse février 2015
Bernard Piffaretti (né en 1955), en 21 peintures, de 1986 à 2014, dans un accrochage en hauteur et rapproché, dans la frontalité de ses toiles qu'il surnomme radicalement Métapeintures, des peintures sur la peinture, autour de la peinture, parlant de la peinture, des toiles construites de signes linguistiques, géométriques, de mots, de nombres, dans le questionnement du double avec le trait de partition central, ce trait séparatif signature. Comment différencier la copie de l'original, le geste initial du geste second ? Il ne peut s'agir d'une peinture en miroir car le miroir ne délivre pas la vérité, le reflet réel, mais d'une duplication d'un motif identique de part et d'autre de ce trait, la caractéristique de la démarche de Piffaretti. Dans un protocole propre à sa peinture, celui de la similaire identité graphique de chaque côté de la ligne, dans un redoublement du sujet. Tel que l'écrit Arnaud Pierre dans L'Instauration du tableau... « l'opération piffarettienne, du tableau bissé, n'est donc pas, comme on aurait pu le croire, 2 x 1 ═ 2, mais bien 1 x 1 ═ 1. »
Sa démarche arithmétique revêt une dimension humoristique dans son autoportrait « façon la tête à Toto » de 1991 ou dans ses deux yeux « façon cartoon » de 2014 placés au dessus de la grande baie vitrée. Dernier regard devant un autre autoportrait de 2003, mais est-ce vraiment le sien puisqu'il y est peint Alias, faisant souvenir des reliures à décor en plaques de métal de Pierre Legrain, des années 1925, dans sa façon de disposer et de placer dans l'espace des lettres découpées, avant d'accéder à l'autre exposition : celle des temps de la répétition, du (re)doublement, en quinze démarches, de Sachiko Abe à Jana Strebak.
Exposition La Répétition, Frac Franche-Comté, Besançon © photographies Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse février 2015
L'humour nous accueille. Celui minimaliste de Claude Closky (né en 1963) qui nous démontre Toutes les façons de fermer une boîte en carton (1989), seize propositions selon lui, mais est-on certain qu'il n'existe pas d'autres combinations ? Humour dérisoire de Réveils (1988), vidéo de Pierrick Sorin (né en 1960), allongé, totalement épuisé, ne cessant de redire sur un mode burlesque que demain il se couchera de bonne heure, dans une insupportable répétition du quotidien. Humour et violence de la folie chez Jimmie Durham (1940) dans la vidéo-performance dans la temporalité d'un plan séquence d'une heure trente Smashing (2004), pendant laquelle il ne cesse, dans un geste mécanique, assis derrière un bureau, de casser avec une pierre les objets qu'on lui apporte, totalement enfermé dans le conditionnement de son absurdité.
Cette absurdité se retrouve dans le triptyque photographique Balayage de la route occidentale, Gizeh (1999) de Régis Perray (1970), fixant la performance qu'il s'était imposé de balayer la route menant aux pyramides, geste répétitif totalement vain pour freiner l'avancée du sable vers ces tombes. Pourquoi ne pas croire à cette absurdité dérisoire de vouloir lutter contre la nature mais, à condition de s'appliquer la méthode thérapeutique d'Émile Coué à laquelle Alain Séchas (né en 1955) rend Hommage à travers une spirale hypnotique ? Ceci peut paraître aussi difficile que de s'évertuer à vouloir hisser une pierre en haut de la montagne comme les Dieux olympiens y condamnèrent Sisyphe, mythe détourné par Jana Sterbak (née en 1955) en un Sisyphus (1998) portant sa pierre comme un sac à dos ou en essayant de trouver son équilibre dans le culbuto-cage de Sisyphe III, démarche insensée prolongée par la vidéo Slow angle walk (1968) de Bruce Nauman (né en 1941) intervenant dans un déplacement chorégraphié répétitif. Identique répétition absurde, au départ née de la gestuelle ludique d'un enfant tapant dans une bouteille de soda, totalement investi dans cette action, mais l'on ne sait si de cet ennui la vacuité ne naîtra pas, comme le filme Francis Alÿs (né en 1959) avec Caracoles (1998-2004).
Exposition La Répétition, Frac Franche-Comté, Besançon © photographies Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse février 2015
Esther Ferrer (née en 1937) joue du contour double, celui de sa silhouette Profils -version B, grande intervention murale in-situ dans l'un des angles de la salle, comme si son corps émettait des ondes s'agrandissant et se propageant autour d'elle jusqu'à disparaître. Comme un murmure s'évanouissant mais que l'on ne perçoit pas alors que la salle abritant cette œuvre résonne de Rhythm 10 (1973-1993) vidéo de Marina Abramovic (née en 1946), performance répétitive et obsédante de planter un couteau entre ses doigts écartés à la façon Dora Maar et de l'enregistrement sonore du fusain de Magali Sanheira (née en 1977) en train de tracer des cercles sur une grande planche. Exceptionnellement la pièce de cette performance, réalisée en direct lors du vernissage de cette exposition, Making circle # 6 est présentée dans une étrange résonance avec Cut papers # 18, performance de Sachiko Abe (née en 1975) également produite lors du vernissage et montrée aussi, comme un nuage blanc de papiers finement découpés que je qualifierai de « jardin sec » tellement il me rappelle le cône de sable du temple Ginkaku-ji à Kyoto. Le noir d'un côté, le blanc de l'autre.
Dans des espaces à part, Steve McQueen (né en 1969) imperturbable dans sa vidéo Deadpan (1997) avec la répétition en 18 fois de la façade en bois d'une maison tombant sur lui, accident auquel il échappe car à chaque fois son corps traverse la fenêtre ouverte et Roman Opalka (1931-2011) dans le questionnement du noir et du blanc, de ses photographies-autoportrait qui blanchissent à mesure qu'il vieillit et de sa peinture de plus en plus blanche construite uniquement de nombres dans un ordre croissant, protocole fascinant et répétitif qu'il développera continuellement jusqu'à sa mort, dans le temps de sa vie.
Cette mort qui efface tout jusqu'à tout faire disparaître, jusqu'au blanc total. Jusqu'au rien.
Gilles Kraemer
Frac Franche-Comté, Besançon © photographie Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse février 2015
Bernard Piffaretti / Juste retour (des choses et des mots) & La Répétition
15 février – 17 mai 2015
Frac Franche-Comté
Cité des arts
25000 Besançon
Tél. 03 81 87 87 00
Internet www.frac-franche-comte.fr
et inventaire de la collection du Frac visible sur www.frac-franche-comte.fr/scripts/inventaire.php
Bernard Piffaretti et Sylvie Zavatta commissaires de l'exposition Bernard Piffaretti.
Sylvie Zavatta, commissaire de l'exposition La Répétition.
Guide des deux expositions gratuits et déclinés pour des personnes en situation de handicap.
Pour vous rendre au Frac, en 10 minutes depuis la gare : bus n°3, arrêt Cité des arts.