Le palais des arts de l'impériale Tefaf 2015 Maastricht (acte I)
Pietro Fachetti (Mantoue vers 1535/1539 – Rome 1619), Portrait présumé de Livia Orsini Cesarini, duchesse de Civitanova avec ses enfants Alessandro et Virginio. Huile sur toile 187 x 98 cm. Vers 1597 © galerie Maurizio Canesso, Paris
La plus grande foire au monde d'art et d'antiquité, la Tefaf (The European Fine Art Fair) à Maastricht, aux Pays-Bas s'ouvre. Cette manifestation, LE rendez-vous incontournable, ne se présente. Les amateurs, les collectionneurs, les directeurs d'institutions muséales bloquent les dates, d'une année sur l'autre. Pour sa 28e édition, du 13 au 22 mars, réunissant 280 exposants, le chiffre des 750 000 visiteurs de l'année passée sera-t-il dépassé ?
Ce palais éphémère des arts aurait pu dormir sur ses lauriers, être celui de la Belle au bois dormant. C'est tout le contraire, la Tefaf ne cesse d'innover, de s'étendre, en continuelle évolution. À ses sections classiques : peintures (60 exposants), antiquités (12), objets et mobiliers anciens (106), art contemporain (52), haute joaillerie (6) -, se sont adjointes Tefaf Showcase en 2008 offrant à de jeunes marchands la possibilité d'intégrer cette prestigieuse manifestation (avec Jean-Baptiste Bacquart, Antonia Eberwein et Xavier Eeckhout de Paris, Eric Gillis de Bruxelles et PYO Gallery de Los Angeles, tous les cinq vraiment très excentrés, dans un coin, à côté du bar à tapas !), Tefaf Design en 2009 (10), Tefaf Paper en 2010 (20). Pour 2015, Night Fishing ( non, il ne s'agit pas d'une pêche au lamparo proposée aux amateurs sur la Meuse) au sein de Tefaf Modern rassemblera des sculptures d'artistes postmodernes et contemporains. Un seul artiste dans chacune des huit galeries présentes, de Cristina Iglesias chez Elba Benitez-Madrid à Mark Manders (il représenta les Pays-Bas à la 55e biennale des Arts de Venise en 2013) chez Zeno X-Anvers. Le parisien Farideh Cadot associés présentera des œuvres du suisse Markus Raertz dont Todo Nada.
Prévoyez deux journées pour tout voir, prendre votre temps, en ce lieu où nous sommes bien loin des mondanités de la Biennale parisienne des antiquaires et des joailliers. L'amateur y est présent pour regarder et admirer avant tout, puis faire son choix. Voici quelques unes des œuvres présentées.
Coupe tronconique en céramique argileuse, décorée en engobe brun sur engobe blanc et sous glaçure transparente de deux oiseaux en direction inverse, dont le corps renferme une inscription coufique " barakat " (bénédiction). Bordure de triangles en dents de scie. Iran Oriental ou Transoxiane, art samanide 10e siècle. Diamètre : 25 cm © galerie Kevorkian, Paris
Remontons le temps avec la galerie Kevorkian présentant une coupe tronconique, à la bordure de triangles en dents de scie décorée de deux oiseaux en direction inverse, dont le corps renferme l'inscription coufique barakat (bénédiction), Iran Oriental ou Transoxiane, art samanide 10e siècle. Dans les textes sacrés de l'Iran pré-islamique, l'oiseau symbolisait souvent chance et gloire. La fréquence avec laquelle on le retrouve, par la suite, associé à une formule de vœux en arabe semble indiquer qu'il a gardé la même connotation dans l'imaginaire des potiers musulmans. Restant dans le même pays, mais à la fin du 3e millénaire av. J.-C., pour la statuette en cuivre d'un personnage assis sur une banquette, les mains posées sur les genoux, vêtu d’une longue tunique à décor linéaire gravé et aux cheveux mi-longs ou portant une perruque égyptisante. La présence de ce qui semble être le sommet d’une tige tubulaire, sous la banquette sur laquelle ce personnage est assis, permet d'imaginer qu’il s’agit du sommet d’un étendard porté lors de processions.
Luca Giordano (Naples, 1634 – 1705), La charité au pauvre homme malade & La charité à la pauvre femme honteuse. Inscription : « Fate la carità ad una vergognosa ». Monogrammée « L. G. » sur l’intérieur de l’écuelle. Huile sur toile. 75 x 102,5 cm chacun. Vers 1670 © galerie Maurizio Canesso, Paris
Maurizio Canesso expose une paire de tableaux, inédite et au sujet peu commun du napolitain Luca Giordano (1634 - 1705) La charité au pauvre homme malade et La charité à la pauvre femme honteuse, vers 1670. Ces deux compositions réalistes, monochromes, dans des dégradés de brun et de gris, d’une forte charge spirituelle et d’une grande force artistique répondent, dans le domaine de la pauvreté, à des types sociaux bien précis. Le personnage entièrement recouvert d’un tissu clair correspond à une iconographie rarement représentée, celle du « povero vergognoso » (le pauvre honteux), un pauvre d’origine sociale élevée, tombé en disgrâce et contraint de demander la charité, en sollicitant la compassion chrétienne, sa condition sociale l'empêchant de travailler. Les deux petites figures d’enfant sont un ajout très signifiant de l’artiste, dans l'intercession en leur faveur, soit par le regard, soit par le geste de la main. Changement de ville et de position sociale avec la représentation de l'aristocratie romaine, celle des Cesarini, avec le portait présumé de Livia Orsini Cesarini, duchesse de Civitanova, avec ses enfants Alessandro et Virginio, vers 1597 par Pietro Fachetti (Mantoue vers 1535/1539 - Rome 1619), magnifique témoignage de l'art du portrait à la fin du XVIe siècle dans la description du costume de ces trois personnes à la pose si hiératique.
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Giovanni Paolo Panini (Piacenza 1691 - Rome 1765), Le marquis Giovanni Carlo Molinari ordonné archevêque de Damas par pape Benoît XIV en 1756 au palais du Quirinal, Rome. Huile sur toile, h. 121 cm x 171 cm.. Vers 1756 © galerie Jean-François Heim, Bâle
Si nous restons toujours à Rome, nous accéderons aux fastes de la papauté chez Jean-François Heim avec Le marquis Giovanni Carlo Molinari ordonné archevêque de Damas par pape Benoît XIV en 1756 au palais du Quirinal, Rome, un des rares tableaux de Giovanni Paolo Panini (1691-1765) représentant une scène d'intérieur. Nous assistons à l'ordination épiscopale de Giovanni Carlo Molinari, le regard tourné vers le spectateur, entouré de deux évêques et du pape Benoît XIV, la cérémonie se déroulant au palais du Quirinal. Sur le mur de droite, le peintre rend hommage à Raphaël en y plaçant la Transfiguration (musées du Vatican). A côté des dignitaires et des prélats, la noblesse romaine, rivalisant par l'élégance de ses habits, ne semble pas très attentive, certains discutant. Un faisceau de lumière chaude pénètre la pièce, faisant briller l'or et l'argent des vêtements, entrant en contraste avec l'habit rouge du cardinal.
Autres choix en suivant le temps. À la galerie Éric Coatalem, Théodore Géricault (Rouen 1791 - 1824 Paris), Académie d'un homme, huile sur papier, provenant de la vente Eugène Delacroix de février 1864. Un dessin de Victor Hugo Burg au milieu des flots, signé, localisé et daté Victor Hugo Guernesey 1857, demeuré dans la descendance de Léon-Emile Allix, médecin et ami de la famille Hugo jusqu’en 2014, est montré chez Talabardon et Gautier. Une huile sur panneau d'Edgar Degas avec Jeune femme assise, la main droite appuyée au dossier d'un fauteuil, vers 1889, provenant de l'atelier Edgar Degas (vente II, Paris, 12-13 décembre 1918) chez Arnoldi-Livie de Munich. Chez Antoine Laurentin, tout un ensemble de belles oeuvres d'Arpad Szenes des années 1950 à 1970. A la galerie Berès, une très grande et très forte huile sur papier (190 x 150 cm) de Bernar Venet Lignes droites-désordre, 1966.
Pseudo-Jacquemart, Jacquemart le Hesdin et autres, Les Heures de Pierre Poictevin. 35 grandes miniatures, vers 1580. Paris ou Bourges, 1380-1390 © Heribert Tenschert Antiquariat Bibermuhle AG
Le domaine du livre, largement représenté à Maastricht, est un vrai plaisir pour tous les bibliophiles. A la dernière Biennale parisienne, les libraires furent deux ! Ici, une dizaine.
Dans la section objets et mobiliers anciens, Heribert Tenschert, que je n'hésite pas à surnommer l'empereur des Livres d'Heures, tant est grande et époustouflante la qualité des ouvrages présentés. L'on ne sait quoi regarder. Les Heures de Pierre Poictevin, chirurgien de Selles en Berry et possesseur au 17e siècle de ce Livre d'Heures commencé à Paris ou Bourges autour de 1380 par Jacquemart de Hesdin et le Pseudo-Jacquemart, contenant 35 grandes miniatures. Les Heures de Marguerite d’Uitenham, enluminées dans les Bay-Bas de l’est, probablement à Arnheim ; ce manuscrit, contenant 80 incipits avec un décor végétale enluminé et doré, est un des manuscrits néerlandais les plus riches. Un Livre d’Heures à l’usage d’Angers avec 12 miniatures, peint autour de 1440-1450 par un maître inconnu qui partage de forts liens stylistiques avec le Maître de Jeanne de Laval mais le dépassant dans le coloris et le sensible modelé des figures ; inutile de préciser que ce manuscrit complet est dans un merveilleux état de conservation.
Livre de prières protestant, en allemand, manuscrit enluminé sur papier et parchemin, Nuremberg ?, vers 1507-1512 ; vers 1580-1600 ? ; après 1610. 20 gravures à pleine page et 4 petites gravures, coloriées la main, de Albrecht Dürer, Heinrich Aldegrever, Jean Wierix, Crispin de Passe l'Ancien, et d'autres. 160 x 115 mm. Image illustrée : f. 5v, Christ au Mont des Oliviers, 1508, par Albrecht Dürer © galerie Les Enluminures, Paris
Non loin, à la galerie Les Enluminures, arrêtez vous devant deux ouvrages. Un Livre de prières protestant, en allemand, Nuremberg ?, vers 1507-1512 ; vers 1580-1600 ? ; après 1610, avec 20 gravures à pleine page et 4 petites gravures, coloriées à la main, de Albrecht Dürer, Heinrich Aldegrever, Jean Wierix, Crispin de Passe l'Ancien et d'autres. Ce livre de prières inédit est un nouvel élément de l'œuvre de Dürer, composé de gravures insérées dans des bordures enluminées, rassemblant 14 des 16 gravures de la Passion gravée d'Albrecht Dürer et 10 autres planches d'artistes différents, toutes coloriées à la main. Et un Livre d'Heures à l'usage de Sarum, Bruges, vers 1390 et Angleterre, vers 1400. Les 19 miniatures à pleine page sont d'un groupe d'enlumineurs pré-eyckiens dit Groupe aux baldaquins roses ; les figures, d'une expressivité marquée, sont rendues dans un subtil réalisme et plaquées sur des fonds d'une grande richesse décorative, caractéristiques de cette production.
Dans la section Tefaf Paper, la librairie Thomas-Scheler, pour sa première participation à Maastricht, présente, de l'imprimerie des Frères de la vie commune à Bruxelles, le second livre imprimé à Bruxelles, mai 1476, Gnotosolitos, sive speculum conscientiae (ou tout ce qu'un chrétien doit connaître de la doctrine) du juriste et humaniste Arnold de Geilhoven. Autre ouvrage d'une grand auteur classique, avec deux pièces de théâtre composées par Jean Racine à la demande de madame de Maintenon : Esther. Tragédie tirée de l'Escriture Sainte [relié à la suite] Athalie. Tragédie, tirée de l'Escriture Sainte, Paris, Denys Thierry, 1689 & 1692 ; sa reliure en maroquin bleu nuit est aux armes de Paul-Sigismond de Montmorency-Luxembourg. Première participation néerlandaise aussi pour Stéphane Clavreuil, présent maintenant à Londres, montrant Le Jardin du roy très chrestien Henry IV par Pierre Vallet dans son édition originale de 1608. L'ouvrage de ce brodeur ordinaire du roi, également graveur, comprend 72 planches botaniques de belle facture superbement coloriées à l'époque, un grand titre architectural et le portrait de Jean Robin, le directeur du jardin botanique de Paris.
Dans cette même section Tefaf Paper, arrêtez-vous chez Francesca Antonacci Damiano Lapiccirella Fine Art pour le pastel de Levy-Dhurmer (1865 - 1953), Têtes de deux Sikhs de profil et le dessin de la puissante Tête de cheval de Vincenzo Camuccini, (Rome 1771 - 1844) et chez Tanakaya qui présente d'une part des estampes de paysages de signatures majeures : Hokusai et Hiroshige pour l'Ukiyo-e du 19e siècle et Kawaso Hasui (1883 - 1957) pour le Shin-Hanga du 20e siècle, et d'autre part des estampes de Bijin (belles femmes) du 18e siècle : Harunobu, Koryusai et Kitagawa Utamaro.
Le musée Teyler de Haarlem, ouvert en 1784, présente quelques unes de ses belles feuilles dont Michel-Ange (Étude pour l'un des nus de la chapelle Sixtine), Hendrick Goltzius, Claude Lorrain, Rembrandt et parmi les contemporains Marlène Dumas et Giuseppe Penone. Vous pourrez voir ces dessins au sein de la section Tefaf Paper.
Gilles Kraemer
TEFAF Maastricht
13 - 22 mars 2015
de 11h à 19h, le 22 jusqu'à 18h
entrée 40 euros, pass 125 euros
Internet www.tefaf.com
L'aller-retour dans la journée est possible en se déplaçant avec le Thalys www.thalys.com mais, il serait dommage de ne rester qu'une journée dans cette très belle ville néerlandaise.
D'autant plus que vous pourrez redécouvrir un maître ancien, au Bonnefantenmuseum : Henri de Fromantiou - Illusions Royales (06 mars – 28.juin.2015). Cette institution présente la toute première exposition consacrée à Henri de Fromantiou, une vaste sélection de natures mortes de cet artiste du XVIIe siècle, né à Maastricht, mettant l'accent sur l'œuvre «oubliée» de ce peintre de la cour à Potsdam. Elle s'accompagne de la parution de la première monographie consacrée au peintre, avec des essais sur sa vie, sa fonction à la cour, son œuvre et son rôle d'agent artistique. Il a exécuté de nombreux tableaux destinés aux palais de Frédéric-Guillaume, le Grand Électeur de Brandebourg. Après sa mort, son nom est tombé dans l'oubli et ses toiles ont été attribuées à Willem van Aelst, Jan Davidsz de Heem ou Abraham Mignon. Actuellement, l'œuvre de De Fromantiou compte environ 35 tableaux, dont plus de la moitié est présentée ici, par des toiles venues du Royaume-Uni, des États-Unis, d'Allemagne, de Belgique et de collections privées. Ses natures mortes sont complétées par des tableaux de ses contemporains.
Henri de Fromantiou, Bloemstilleven, 1665, © Private Collection Germany. Remerciements service de presse du Bonnefantenmuseum, Maastricht, Pays-Bas