Keiichi Tahara, le photographe sculpteur de lumière. Dans des souvenances de Paris
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer
Nul besoin des outils du sculpteur : ciseau ou gradine, pour libérer la lumière emprisonnée à l'intérieur du bloc de marbre pourrait-on dire, paraphrasant Michel-Ange, lorsque l'on regarde le travail de Keiichi Tahara (né en 1951 à Tokyo). De son œil photographique, ce sculpteur de lumière cisèle la lumière française jugée « très brutale et perçante » face à celle du Japon « toujours voilée et enveloppée ». La rétrospective que lui offre la MEP - Maison Européenne de la Photographie - présente quatre des séries de cet artiste travaillant toujours par séquences, approfondissant pendant de longues années un même thème.
Appartement avenue Alphand 94160 Saint-Mandé. Série Fenêtre 1973-1982, n°inv. : FNAC 94535, Centre national des arts plastiques © Keiichi Tahara
Ouverture vers l'extérieur en restant chez soi. La série Fenêtre (1973-1984) est, lors de son arrivée en France, l'unique moyen de communiquer avec le monde, démarche qu'il poursuivra dans ses différents appartements parisiens, de Paris à Saint-Mandé, pour « établir et affirmer l'existence de mon « moi » ». « Pourquoi ses vues vers l'extérieur l'avons nous interrogé, en arrivant en France, à Paris et en région parisienne, où vous alliez demeurer jusqu'en 2007 ? ». « Dans un souci d'essayer de comprendre la France, où j'arrivais, j'ai voulu travailler de l'intérieur. Des fenêtres couvertes de poussière, salies par les vapeurs des restaurants de la rue Saint-Séverin dans le quartier latin ou dans d'autres lieux, ce sont ces fenêtres sur la ville qui m'intéressait, cette ville prise à travers le vasistas de ma chambre de bonne ou de ma fenêtre de cuisine ».
Au confluent des lumières blanche et noire, sa recherche sur la transparence naît de la lumière traversant la plaque de verre sur laquelle il appose sa photographie : les dix-huit InBetwen apparaissent comme des sculptures en verre, portant les traces d'une mémoire.
Joseph Beuys. Série Portrait © Keiichi Tahara
Avec les seize Portrait ou Visagéité (1978-1988) présentés, chez ce photographe aimant le dadaïsme et le surréalisme, rappelant qu'il rencontra Xénakis ou Pierre-André de Mandiargues, surgissent les rémanences de l'affectif, s'arrêtant sur certains traits du visage ou sur un portrait en pied de l'écrivain ou de l'artiste. Philippe Soupault disparaît dans les circonvolutions de la fumée de sa cigarette, Jean Degottex à l'image de sa peinture est d'un ascétisme absolu et Pierre Klossowski, allongé sur son lit, les yeux clos, semble tout à fait indifférent à son tableau placé au dessus de lui, représentant des lutteurs.
Exposée pour la première fois à la MEP, la série Écran (1986-1993), grands polaroids en couleur, est réminiscence, dans des jeux d'ombre, de souvenirs de la lumière de France.
Exposition Keiichi Tahara, MEP, Paris © Le Curieux des arts Gilles Kraemer
Portrait de l'artiste Keiichi Tahara lors de son exposition à la galerie Taka Ishii, Paris © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, septembre 2014
Un regard sur le Jardin niwa (2001), ce lieu terrestre et spirituel, que Keiichi Tahara a imaginé dans la cour de la MEP, pour lui « la profonde signification de la lumière : la lumière comme mesure de l’absolu et fondement de l’art photographique ».
Puis à un « jet » d'un Asahi Pentax, son premier appareil offert par son grand-père, la galerie Taka Ishii présente ses séries Fenêtre et Éclats. Notre lumière qu'il jugeait si forte, ayant « une incidence sur le paysage, les gens et même la langue que l'on parle », il a réussi à la sculpter. D'Éclats (1979-1983), photographies réalisées lorsqu'il vivait à Saint-Mandé, avenue Alphand, il en parle comme « le reflet de l'extérieur vers l'intérieur, vers la chambre, le bureau ».
Antoine Prodhomme
Keiichi Tahara. Sculpteur de lumière
10 septembre – 2 novembre 2014
La Maison Européenne de la Photographie
5-7 rue de Fourcy – Paris 4e
et jusqu'au 26 octobre 2014
Galerie Taka Ishii
119, rue Vieille du Temple - Paris 3e