Dans les souvenirs de la Polynésie. Le voyage de Matisse à Tahiti
Henri Matisse, Polynésie la mer, 1948. Tapisserie en laine. Collection de la ville de Beauvais © Succession H. Matisse.
Le 19 mars 1930, Henri Matisse (1869- 1954) quitte Paris pour New York. Après avoir traversé en train les États-Unis, il embarque depuis San Francisco pour Tahiti, où il arrive le 29 mars. Séjour de trois mois pendant lesquels il visitera l'atoll d'Apataki et de Fakarava de l'archipel des Tuamotu et séjournera auprès de François Hervé, administrateur des Tuamotu et instigateur de l'embryon de la première ferme perlière.
Pourquoi à Méru, dans ce musée de la nacre et de la tabletterie, ce Voyage de Matisse à Tahiti ? « Le lien ne pouvait que s'imposer entre le voyage du peintre dans les îles du Pacifique et Méru » souligne Geoffrey Martinache, directeur de cette institution et commissaire de l'exposition. Ce village de l'Oise fut au XIXe siècle la capitale internationale de la nacre importée de Tahiti, nacre utilisée pour la fabrication des boutons, des montures des éventails, des accessoires de mode et d'hygiène (penser au gratte-langue) et d'objets décoratifs telles les pendules recouvertes de plaques de nacre.
Matisse s'était déjà rendu au Maroc et en Algérie. Et, à 60 ans, il entreprend le voyage de Tahiti, souhaitant trouver dans ce déplacement un renouvellement de son inspiration, la recherche de nouveaux espaces et une lumière différente de celle de l'Occident. Le lendemain de son arrivée, enthousiasmé, il écrit à son épouse « je trouve tout merveilleux – paysages, arbres, fleurs et gens […] Impossible de décrire tout ce que j'ai ressenti ici depuis mon arrivée... ». Tout le fascine, surtout cette profusion de végétation qui va être un axe de son travail ainsi que la lumière, cette lumière dont il en éprouve toutes les variations en se baignant dans les lagons, dans le contraste entre la mer et le ciel. Il ne souhaite rien perdre, prend des photographies, dessine. Face à une telle situation de la prégnance de la nature, chacune des lettres adressées à son épouse Amélie est une façon de transcrire, de suite, toutes ses impressions. Comme un aide mémoire, lointain, pour son retour.
En d'autres instants dans ses écrits, transparaît la lassitude de ne pouvoir tout capter, « le point délicat est le travail. Je ne suis pas sûr de faire quelque chose – il y a trop à voir. ». Amour et désamour, ce va et vient dans son ressenti transparait dans ses écrits à sa femme et, comme le suggère Geoffrey Martinache dans le catalogue « ses premières impressions sont contrastées. Il est subjugué par la nature mais elle paraît en même temps ennuyeuse. ».
Henri Matisse, Soupir. Eau-forte pour Poésies de Stéphane Mallarmé, 1932. Collection particulière © Succession H. Matisse.
Toutes ses sensations polynésiennes – les photographies qu'il a prises sur place sont présentées mais aucun dessin de ce séjour ne figure ici – contribueront à l'éclosion d'une nouvelle œuvre dont l'exposition s'attache au prolongement de ses rémanences.
Comme il l'écrit à Brassaï en décembre 1946 « Je suis revenu des îles les mains absolument vides[...] Il est curieux, n'est-ce pas, que tous ces enchantements du ciel et de la mer ne m'aient guère incité tout de suite... ». L'aboutissement en sera les tapisseries de Beauvais Polynésie, la mer (présentée ici) et Polynésie, le ciel (1948). Deux tapisseries turquoise et bleu foncé, de grands oiseaux blancs environnés d'algues et de coraux et entourés d'une bordure évocatrice du lagon, toute en souvenance de son voyage, 18 années plus tard.
Le tombé du métier de la manufacture lui plaira plus que la tapisserie que lui avait commandée Marie Cuttoli (à quand une exposition sur cette figure majeure qui contribua au renouveau de la tapisserie au XXe siècle ?) inspirée de l'eau-forte Soupir illustrant Poésies de Stéphane Mallarmé (1932) et reprenant la goélette vue de la fenêtre de son hôtel à Tahiti. Dans l'illustration de ces poésies, l'on retrouve toute la végétation de l'archipel, un assouplissement et une fluidité de la ligne, une aisance du contour, une décantation de la forme et un dynamisme que l'on verra, 13 ans plus tard, dans l'illustration de Florilège des Amours de Ronsard.
Puis, se seront quelques couvertures de la revue Verve et les papiers découpés de l'album aux vingt planches de pochoir de Jazz (1947). Des formes épurées au service de la couleur pure et seulement de la couleur.
Gilles Kraemer
Le voyage de Matisse à Tahiti
25 septembre – 27 décembre 2014
Musée de la nacre et de la tabletterie - 60110 Méru
Internet www.musee-nacre.com
Catalogue. Texte de Geoffrey Martinache, 104 pages. Éditions Snoeck, Gand. Prix 20 €
Conférences à 15h. Le 25 octobre L'illustration pour Henri Matisse : origine, portée et importance, le 22 novembre Le textile dans l'œuvre de Matisse et le 20 décembre Le thème de la danse dans l'œuvre d'Henri Matisse.
Le musée de Méru, créé en 1999, installé dans l'ancienne usine Dégremont édifiée au XIXe siècle, est devenu musée national depuis 2006. Cette ville est à heure de train de Paris, depuis la gare du Nord.