Gustave Courbet. Les années suisses / Musée Rath, Genève
Exposition Gustave Courbet. Les années suisses, musée Rath, Genève © photographie Le curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse
D'un côté « un paisible peintre-philosophe qui vit heureux au milieu de ses trésors artistiques et de ses nouvelles œuvres » et « un artiste actif qui peint, expose des œuvres anciennes ou récentes... » de l'autre, les propos emplis d'opprobre d'Émile Zola « Il vit quelque part en Suisse. Voici trois ans déjà qu'il ne donne rien de neuf », Poulet-Malassis « L'hydropisie le menace et son intellect et son talent ont bien baissé » ou Édouard Manet « Vous me parlez de Courbet. Il s'est conduit comme un lâche devant le Conseil de guerre et n'est digne d'aucun intérêt ». Qui était Gustave Courbet qui choisit l'exil en Suisse - thème de cette exposition - et dont les jugements de ses contemporains furent aussi contradictoires ?
Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1873 il passe clandestinement la frontière, décidant de fuir en Suisse. Cet exil, il l'a préparé, ayant envoyé quelques temps avant, dans son futur pays, ses tableaux. Il décède le 31 décembre 1877 à La Tour-de-Peilz, près de Vevey, « coïncidence » étonnante ou « mauvaise volonté » si l'on use l'humour puisque la veille de ce 1er janvier 1878 où il aurait dû commencer à payer à l'État français sa dette de 323 000 francs en 30 annuités en réparation de la responsabilité du déboulonnement de la colonne Vendôme qu'on lui imputa et des frais liés à sa reconstruction ! « Il s'agit donc de faire suer la peinture de 10 000 F par an » prévenait-il Whistler, en lui écrivant en février 1887.
Ce choix de la Suisse, pour éviter la contrainte par corps, n'est pas un saut en terre inconnue, ce pays s'inscrivant dans sa vie et son imaginaire. Il le connait, ayant eu l'occasion de s'y rendre ; Paysage d'Interlaken (1869) ouvrant l'exposition le rappelle. Dommage que Le Veau blanc (peint en France en 1873), collection d'un artiste qui présenta il y a quelques années des tableaux de sa collection (dont un Courbet), ne soit pas présent. Dans le franchissement si symbolique du ru par ce bovin, tableau que le peintre titrera Veau suisse pour une exposition à Londres, quel plaisant clin d'œil introductif n'aurait-il pas provoqué ?
Gustave Courbet, Panorama des Alpes, vers 1876. Huile sur toile, 64 x 140 cm © MAH, photographie : Bettina Jacot-Descombes
Gustave Courbet, Grand panorama des Alpes, les Dents du Midi, 1877. Huile sur toile, 151.2 x 210.2 cm. The Cleveland Museum of Art, John L. Severance Fund et donateurs divers en échange
Réunissant soixante et onze tableaux et une centaine de documents, cette exposition est une reconsidération des cinq années suisses de Courbet. Laurence Madeline, la commissaire, propose une lecture de cette période ultime de la vie de l'artiste qui n'avait pas été, jusqu'à présent, traitée d'une façon exclusive, « cette période étant considérée très faible selon des historiens » comme le souligne Jean-Yves Martin, directeur des musées d'Art et d'Histoire de la ville de Genève, « avec le miracle de faire ressurgir, pour cette expositon, un tableau que l'on ne connaissait que par une image : Panorama des Alpes (vers 1876) et qu'un mécène vient d'acquérir pour l'offrir aux musées genevois. Non vue depuis 1915, c'est par cette dernière toile, exposée à côté du Grand panorama des Alpes, les Dents du Midi (1876), immense toile de Salon venue de Cleveland, que se clôt l'exposition. Une magnifique confrontation entre ces deux tableaux de montagnes, sans aucune trace de la modernité industrielle. Avec comme seul focus : le paysage absolu.
Exposition Gustave Courbet. Les années suisses, musée Rath, Genève © photographie Le curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse
Avant de découvrir ses toiles – pas toutes convaincantes, le corpus pictural de Courbet souffre de quelques inégalités et Rochefort dira de son portrait que le peintre « m'avait fabriqué un teint olivâtre qui me donnait plutôt l'air d'un bijoutier portugais que d'un journaliste parisien » -, la section documentaire livre le quotidien de cet homme connaissant par cœur les horaires des trains helvètes, gourmand d'écrevisses, se baignant nu dans le Léman, souffrant d'hydropisie et d'une cirrhose du foie (ah, le cognac !), observé par la police, fréquentant des proscrits de la Commune, participant à des salons de peintures en Suisse ou envoyant en mai 1876 quatre tableaux à la Philadelphia Centennial exhibition. L'on est bien loin du jugement de Zola sur un « Courbet vieilli, chassé comme un lépreux... [appartenant] dès aujourd'hui aux morts », opinion très largement répandue à cette époque et présente encore aujourd'hui dans l'histoire de l'art comme le précise Laurence Madeline.
Exposition Gustave Courbet. Les années suisses, musée Rath, Genève © photographie Le curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse
L'exposition n'oublie pas le temps de l'entre-deux, de son Autoportrait à Sainte-Pélagie et sa sortie de prison en avril 1872 jusqu'à ses natures mortes de fruits et de fleurs précédant son départ en exil et les trois versions de ses énormes Truites de la Loue, la rivière d'Ornans, accrochées à un hameçon comme une métaphore du piège qui s'est refermé sur elles et... sur l'artiste. Dans son exil suisse, Courbet avait emporté avec lui des tableaux qu'il espérait vendre ou ne pas à vendre (des autoportraits et Jo, la belle irlandaise présentés ici) ainsi que des tableaux de maîtres anciens qu'il croyait être Rubens, Titien ou Véronèse et s'avérèrent n'être que des copies, exposés dans sa maison de La Tour-de-Peilz, dans une galerie. Étonnant ce dialogue entre ses tableaux et ceux anciens, comme le rappelle Laurence Madeline dans son essai La « galerie Courbet, montrant combien les liens se tissaient avec les maîtres du passé (portrait de Malle Babbe d'après Hals, L'Homme au casque rembranesque).
A la ville qui l'accueille : La Tour-de-Peilz, il donne une sculpture Helvetia, à l'aspect farouche, trop proche de la française Marianne, ne correspondant pas tout à fait à l'idéal des Suisses ; la municipalité lui demandera de l'intituler Liberté et de remplacer la croix fédérale du corsage par une étoile à cinq branches. Il offrira le même buste à Fribourg et à Martigny, deux cités très radicales politiquement, dans une sous-jacente opération de promotion selon l'analyse Pierre Chessex dans le catalogue.
La partie de l'oeuvre de Courbet, celle des châteaux de Chillon, n'est pas ignorée, avec la présentation de sept tableaux de ce site (sur vingt et une versions recensées), pas tous égaux surtout lorsque s'y ajoute un minuscule voilier aux proportions fantaisistes dans ses gréements. L'huile venue du Wallraf-Richard Museum & Fondation Corboud de Cologne, démarque du lot dans cette « production presque industrielle » de ce site touristique comme l'explicite Petra-ten-Doesschate Chu dans l'essai judicieusement titré Le « marketing » du château Chillon.
Un seul reproche. La peinture blanche et l'éclairage cru de la salle ovale, dédiée aux marines rappelant les côtes normandes, affadissent les cieux rougeoyant ou lie de vin des couchers de soleil, les gris des nuages (Vue du Léman par ciel nuageux de la National Gallery) ou le crépuscule laiteux sur le Léman. L'on se croirait, à Venise, dans l'installation ouateuse de Doug Wheeler au palazzo Grassi.
Un artiste se comprend dans sa globalité, son acmé naturellement mais aussi sa jeunesse et son âge mur. C'est avec une grande rigueur et passion que Laurence Madeline présente, dans l'intimiste musée Rath, la (re)découverte de Courbet, le peintre âgé, dont l'on avait eu tendance à oublier les œuvres ultimes.
Gilles Kraemer
Gustave Courbet, Le Château de Chillon, 1873. Huile sur toile, 54 x 65 cm. Cologne, Wallraf-Richartz-Museum & Fondation Corboud, Dep. FC 698 © Rheinisches Bildarchiv Köln, Sabrina Walz, rab_c014538
Exposition Gustave Courbet. Les années suisses, musée Rath, Genève © photographies Le curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse
Gustave Courbet – Les années suisses
5 septembre 2014 – 4 janvier 2015
Musée Rath, place Neuve 1 – CH - 1204 Genève
Tél. + 41 (0)22 418 33 40
www.institutions.ville-geneve.ch
Catalogue indispensable. Un catalogue et non un accompagnement visuel d'une exposition comme ceci l'est trop souvent pour des expositions en France. D'autant plus étonnant que la maison d'édition de ce catalogue de 270 pages est Artlys, filiale de la Rmn/G.P.). C'est donc possible en deçà des Alpes ! Prix 65 CHF ou 45 €.
Cette exposition s'inscrit dans la Saison Courbet, co-organisée avec la Fondation Beyeler.
Gustave Courbet
7 septembre 2014 – 18 janvier 2015
Fondation Beyeler à Riehen/Bâle
Tél. + 41 (0)61 645 97 00
www.lecurieuxdesarts.fr/2014/09/gustave-courbet-fondation-beyeler.html
Genève est à trois heures de Paris par le train Lyria. Poursuivez par le train (2h 30) pour vous rendre à Bâle, la ville aux 40 musées. Renseignements sur www.basel.com
Voir aussi à Genève, Le Geste suspendu – Estampes consacrées au théâtre Kabuki au Cabinet d'arts graphiques (10 octobre 2014-11 janvier 2015).