Gilbert Delaine ou l'aventure d'une passion. LAAC, Dunkerque
L'aventure d'une passion / Gilbert Delaine © Photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, 2014
À quoi tient une collection puis ce musée de Dunkerque, le LAAC (Lieu d'Art et d'Action Contemporaine), où l'on trouve le reflet de ce que fut la scène artistique française, de l'abstraction de l'après-guerre aux années 1980 ? Avec la présence de Car Crash d'Andy Warhol (1963) acquis en octobre 1982 auprès de la galerie Beaubourg (150 000 francs à l'époque), Sam Francis et Joan Mitchell. Tout ceci, des achats de l'association L'Art pour tous auprès d'artistes et de galeries et des cadeaux d'artistes et de galeristes.
À un presque rien, parfois. Gilbert Delaine (Witternesse 1934 – 30 juillet 2013) aurait-il imaginé qu'il « tomberait dans la marmite de l'art » en parcourant, dans la salle d'attente de son dentiste, le numéro 111 de la revue mensuelle Jardin des arts, en lisant dans la rubrique Le tour des expositions de Jean-Dominique Rey, l'article consacré à Ladislas Kijno et à son exposition chez Creuzevault avenue Matignon ? Je conseille la lecture ou relecture des Mémoires des autres, les ateliers du demi-siècle de J.-D. Rey.
Problématique beaucoup plus difficile aujourd'hui avec les magazines d'historiettes d'un jour de s'intéresser à l'art. Sauf, à ma connaissance, dans la salle d'attente d'un ophtalmologiste, membre de l'Institut, où des revues d'art sont disposées sur une table.
L'aventure d'une passion / Gilbert Delaine © Photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, 2014
Cette passion de l'art n'a jamais quitté Gilbert Delaine. Comment lui l'autodidacte, l'ingénieur à la direction départementale de l'Équipement du Nord, l'adhérent de nombreuses associations caritatives, l'un des fondateurs en 1974 de l'association L'Art Contemporain dont le but était la création à Dunkerque d'un musée d'art contemporain, comment imaginerait-il que sous son impulsion ce musée verrait le jour, inauguré le 4 décembre 1982? Ce jour là, non choisi au hasard, était lancé le Quintino, transporteur de produits chimiques, construit dans les Ateliers et Chantiers de France-Dunkerque. La ville vivait alors au rythme des chantiers navals dont l'une des traces est l'AP2, l'atelier de préfabrication n°2, un bâtiment industriel de la cité sur lequel s'est accolé le FRAC Nord-Pas de Calais.
Fermé en 1997, le musée d'Art contemporain rouvre le 25 juin 2005 sous le nom de LAAC, Lieu d'Art et d'Action Contemporaine. Date tout autant symbolique pour Dunkerque qui, après la Bataille des dunes, passa le 25 juin 1658 des mains de l'Espagne à celles de la France puis de l'Angleterre.
Pour le remercier de cette passion irréfragable au service de l'art, le LAAC lui proposa en 2012, une carte blanche pour présenter des oeuvres rassemblées par l'association L'Art Contemporain. Modeste, d'une grande générosité, toujours en retrait et s'effaçant devant les artistes, Gilbert Delaine refusa devant « l'incongruité de cette idée » de sélectionner une centaine d'oeuvres de la collection. Pourquoi certains artistes et pas d'autres ? Il ne pouvait « en conscience » le faire, disait-il.
Le choix d'une exposition thématique s'imposa très vite, celle autour du groupe Cobra, trouvant, en partie, son origine dans les dix-sept sculptures en bois polychrome et les trente gravures composant l'Appel Circus, offertes par Karel Appel à l'association.
Associé au commissariat, le jeune Victor Vanoosten. Visitant avec eux, en octobre 2012, Cobra, sous le regard d'un passionné. Carte blanche à Gilbert Delaine, l'on ressentait entre Gilbert et Victor comme « un passage de témoin » émotionnel, fusionnel, presque familial, comme celui entre un grand-père et un petit-fils, dans l'amour et la passion de l'art. Comme une transmission du flambeau de continuer à faire vivre cette collection, Gilbert Delaine étant à l'époque très malade. Deux cents œuvres, la plus importante rétrospective Cobra en France.
Sans les liens tenus tissés par Gilbert Delaine avec les peintres et les collectionneurs, elle n'aurait pu atteindre cette importance.
L'aventure d'une passion / Gilbert Delaine © Photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, 2014
Ce musée, conçu par Jean Willerval, au milieu du jardin de sculptures dessiné par Gilbert Samuel, porte la réalité économique de ce que fut cette ville industrielle. Lieu étonnant, laissant une grande liberté dans les alcôves des salles, correspondant à ce que Gilbert Delaine avait souhaité : rendre l'art accessible à tous, principalement aux ouvriers des chantiers navals de l'époque.
L'Aventure d'une passion / Gilbert Delaine, un homme, un musée lui rend hommage. Aux commandes Aude Cordonnier, directrice des musées de Dunkerque en association avec Victor Vanoosten. L'exposition que Gilbert Delaine ne se sentait moralement pas capable de présenter, ils l'ont faite.
Mission accomplie, dans un parcours sans faute, de découvertes en découvertes, d'Arthur Van Hecke à Eugène Leroy, de Vasarely à Serge Poliakoff, de Gérard Schneider à Wallace Ting, de Jean Dewasne à Peter Klasen, d'Arman à César, de Claude Viseux à John Christoforou, de Bernard Rancillac à Noël Dolla, de Jean-Michel Meurice à Ben. Avec une salle réservée à Appel. Sur une même mur, un accrochage très fort : Pierre Soulages 9-8-66 (1966), un sublime et peut-être un des plus beau Olivier Debré dans une institution publique : Personnage-brun-rouge (1959-1960) et De retour (1975) de Pierre Alechinsky. Non loin, Hans Hartung R21 (1977) et Le grand Nord (1968) d'Alfred Manessier.
Sans omettre quelques œuvres issues de la seconde collection, plus secrète et personnelle, initiée en 1985 par Gilbert Delaine autour de la Passion du Christ, de Warhol à Louis Cane, de Prassinos à Jean Messagier et Luciano Castelli. Collection visible dans la crypte de la cathédrale Notre-Dame de la Treille à Lille.
Gilbert Delaine décède le 30 juillet 2013 « dans le silence de l'été, comme s'il s'était éloigné sur la pointe des pieds » fait si bien remarquer Aude Cordonnier. A l'image de ce qu'il fut : un passionné modeste. Modeste au sens noble de l'amateur s'effaçant devant les œuvres, ne se positionnant pas en avant pour le seul ego de son nom sur le fronton de l'institution.
L'aventure d'une passion / Gilbert Delaine // Ben, L'Art est inutile rentrez chez vous, sérigraphie, 1960 © Photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, présentation presse, 2014
L'aventure d'une passion. Gilbert Delaine, un homme, un musée
12 avril – 21 septembre 2014
LAAC - Lieu d'Art et d'Action Contemporaine
59140 Dunkerque
tél. 03 28 29 56 00
Internet : www.musenor.com/Les-Musees/Dunkerque-Lieu-d-Art-et-Action-Contemporaine-LAAC
Catalogue. Prix 20 euros.
Pour prolonger l'exposition, lecture du Hors-série L'Oeil consacré au LAAC, 2005. Prix : 5 euros.
Sans oublier le catalogue : Cobra, sous le regard d'un passionné. Carte blanche à Gilbert Delaine, catalogue de l'exposition présentée au LAAC (20 octobre 2012 – 3 mars 2013), commissariat de Gilbert Delaine. Avec des textes de Gilbert Delaine, Aude Cordonnier, Christina Dotremont, Pierre Dhainaut et Victor Vanoosten. Éditions Archibooks + Sautereau éditeur. Prix 30 euros.
Et la relecture de Collection du Lieu d'Art et d'Action Contemporaine de Dunkerque sous la direction d'Aude Cordonnier et de Bernard Ceysson, Co-éditions LAAC / Somogy éditions d'art.
Traversez la rue et rendez vous au FRAC Nord-Pas de Calais pour les expositions Constellations
(17 mai – 31 août 2014) & Nouvelle génération (17 mai – 31 décembre 2014)
Internet : www.fracnpdc.fr
Internet : www.lecurieuxdesarts.fr/2014/07/un-palais-de-verre-pour-le-frac-nord-pas-de-calais-a-dunkerque-entre-constellations-et-nouvelle-generation.html
Prochaine exposition au LAAC, du 15 novembre 2014 au 15 février 2015 : 20 000 lieux, un dialogue entre les œuvres du musée et celles de la Société Générale, à travers le thème de la mer et du voyage.
En parallèle le LAAC présentera une exposition consacrée à la donation Dewasne.