Pontormo e Rosso Fiorentino. Divergenti vie della "maniera" / Pontormo et Rosso. Chemins différents de la "manière". Florence, palazzo Strozzi
Pontormo et Rosso, palazzo Strozzi, Florence © Photographies Antoine Prodhomme, mai 2014.
'' Tous les chemins mènent à Rome ''. Pour une fois, prenez une autre destination. Toujours l'Italie naturellement. Mais, rendez vous vite à Florence, au palazzo Strozzi, pour l'une des plus belles expositions de ce printemps. J'oserai dire exceptionnelle. Vous y emprunterez les chemins du maniérisme, en compagnie de Pontormo et Rosso Fiorentino, le roux florentin. Pontormo et Rosso Fiorentino. Divergente vie della ''maniera''. ''Maniera'' dans le titre de l'exposition et non ''manierismo'' se doit d'être entendue, selon les deux commissaires Carlo Falciani professeur d'histoire de l'art et Antonio Natali directeur de la Galleria degli Uffizi au sens de leurs contemporains, façon de peindre ''moderne'' car art de leur époque. Peintres de leur temps donc.
Comme un somptueux avant-propos, en février 2014, l'ambassade d'Italie à Paris présentait un tableau de Rosso Fiorentino, Le mariage de la Vierge (Pala Ginori) du nom de son commanditaire Carlo di Leonardo Ginori, œuvre toujours conservée à la basilique San Lorenzo, depuis 1523. Récemment restaurée, allégée de ses vernis, cette huile sur panneau représente Marie s'unissant à Joseph représenté bien jeune, dans toute sa force virile, bien éloigné du Joseph vieillissant auquel l'iconographie nous avait habitués. L'on y voit même dans cette chaste union, comme l'analyse Grazia Badino dans la notice de l'érudit catalogue, l'union du Christ avec l'Église.
Cette peinture du peintre ''roux'' est présentée aujourd'hui à l'exposition du palais Strozzi, réunissant plus de 90 œuvres dont 50 de Pontormo et Rosso, soit 70 % de leur production artistique et 80 % de leurs portraits. Et près d'un tiers des œuvres ont été restaurées tels la Visitation de Pontormo qui fait la couverture de l'indispensable catalogue ou le Jeune homme au casque de Rosso.
Rosso Fiorentino, Le mariage de la Vierge (Pala Ginori), 1523, huile sur panneau 325 x 247 cm.. Florence, Basilique de San Lorenzo.
Attention au syndrome de Stendhal, surtout dans cette ville. Lisez avant Rome, Naples et Florence paru en 1826 pour savoir ce que vous risquez : ''Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J'étais arrivé à ce point d'émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les beaux-arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j'avais un battement de cœur, ce qu'on appelle des nerfs, à Berlin ; la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.'' Confronté à tous ces chefs-d'œuvre venus des États-Unis, d'Allemagne, d'Angleterre, de France, d'Autriche, d'Italie et en très grand nombre de Florence, il serait étonnant que vous n'y succombiez pas !
Ils naquirent la même année : le 8 mars à Florence pour Giovan Battista di Jacopo, dit le Rosso (1494-1540) et, le 24 mai à Pontorme près d'Empoli pour Jacopo Carucci; dit Pontormo (1494-1557). Période troublée dans leur pays natal. 1494 voit la fuite des Medici de Florence et l'entrée à Florence des Français de Charles VIII. Le frère dominicain et prédicateur Girolamo Savonarola est brûlé en 1498 sur la place de la Seigneurie, les Medici reviennent en 1512, Luther est excommunié en 1521, Giulio Medici est élu pape sous le nom de Clemente VII en 1523, Rome est saccagée en 1527 par les lansquenets de Charles Quint.
Pontormo, Visitation, 1514-1516, fresque détachée, 408 x 338 cm.. Florence, Basilique de Santissima Annunziata, chiostrino dei voti, patrimoine du Fonds des édifices du culte - ministère de l'Intérieur // Rosso Fiorentino, Assomption, vers 1513, fresque détachée, 390 x 381 cm.. Florence, Basilique de Santissima Annunziata, chiostrino dei voti, patrimoine du Fonds des édifices du culte - ministère de l'Intérieur.
Et, nos deux peintres ? Un point commun : leur formation reçue dans l'atelier d'Andrea del Sarto, leur aîné de 8 ans, comme l'évoque spectaculairement la première salle des 10 sections de cette exposition au parcours chronologique. En entrant, les fresques détachées du petit cloître de Santissima Annunziata qu'ils réalisèrent vers 1513-1516 et toujours conservées dans cette basilique florentine. Quatre mètres de haut, l'on comprend que cette exposition ne pourra être vue dans une autre institution. Raison de plus de faire le voyage de Florence. A leur maître Andrea, la place centrale avec le Voyage des mages, à Pontormo la Visitation, à Rosso l'Ascension. Tout s'élabore, les masses se placent, l'influence des Stanze de Rafaele et de la Sixtina de Michelangelo sont perceptibles chez les jeunes élèves. Comparez la vivacité des couleurs et les touches de lumière de la Madone avec l'enfant et le jeune saint Jean-Baptiste de Rosso à la disposition par grandes masses colorées des personnages de Joseph vendu à Putiphar de Pontormo.
Ce dialogue puissant se retrouve dans une autre confrontation sublime entre la Madone à l'enfant d'Andrea avec à sa gauche la composition très architecturée de Sainte Famille de Pontormo, ayant retrouvé toute la luminosité de ses couleurs par une récente restauration et à sa droite Madone avec l'enfant et quatre saints de Rosso aux masses colorées évanescentes. Regardez aussi dans la même salle la Madone avec l'enfant, saint Jean Baptiste et saint Barthélémy de Rosso ; trois années séparent ces deux peintures de Rosso qui a déjà commencé ses pérégrinations en Italie et se trouve à Voltera depuis 1521.
Pontormo, Sainte Conversation (Pala Pucci), 1518, huile sur panneau 221,5 x 189,5 cm.. Florence, Église San Michele Visdomini.
Leur chemin se sépare. Pontormo, peintre officiel de la cour des Medici restera et mourra à Florence, ne s'étant rendu qu'une seule fois à Rome en 1511. Rosso sera le peintre des familles aristocratiques de la ville au lys rouge, fidèles aux valeurs républicaines et favorables à la religiosité de Sanovarola. Ne cessant de parcourir l'Italie, Rosso arrivera à Paris en 1530 et terminera ses jours à Fontainebleau à 46 ans, peintre de la cour, celle de François Ier. Deux salles respectives permettent la confrontation des cinq portraits de Pontormo aux six de Rosso ; hommes de cour pour le premier avec le Portrait du jeune homme, hommes vêtus de noir pour le second tel l'inédit Homme à la lettre se détachant sur une tenture verte (1514), d'une collection privée.
Rosso Fiorentino, Madone avec l'Enfant, saint Jean -Baptiste et saint Barthélémy (Pala di Villamagna), 152. Huile sur panneau, 169 x 133 cm.. Volterra, Musée diocésain d'art sacré.
De ce magnifique duel pictural entre deux tempéraments si différents, l'avant-dernière salle est la plus éblouissante. Comme toutes les salles d'ailleurs. Naturellement pour la Visitation de Pontormo avec la rencontre de ces quatre femmes dans un mariage de heurts maîtrisés des vêtements rose, bleue, verte et orange, la dramaturgie de la Déposition de la croix de Rosso et Saint Jérôme pénitent, très jeune et non vieillissant comme dans l'iconographie classique (vers 1529-1530) de Pontormo, au corps construit dans un rectangle, le saint encerclé d'une étoffe rouge. Le corps contorsionné de Jérôme se retrouve dans une autre composition religieuse de Pontormo Les dix mille martyrs, elle aussi des années 1529-1530 qui furent celles du siège de Florence par les troupes de Charles Quint, dans laquelle les corps nus des soldats d'Acace adoptent des positions inhabituelles proches de la sculptures du Laocoon.
Précipitez vous à Florence pour cette exposition unique et éblouissante. Quatre années après l'exposition Bronzino. Pittore e poeta alla corta dei Medici (Bronzino fut l'élève de Pontormo), le palais Strozzi (institution privée) renouvelle un coup d'éclat, avec les mêmes commissaires, dans ce dialogue-confrontation entre deux peintres de la même époque.
Pontormo, Saint Jérôme pénitent, vers 1529-1530. Huile sur panneau, 105 x 80 cm.. Hanovre, Niedersächsisches Landmuseum Hannover, inv. KM 132.
Pontormo, Visitation, vers 1528-1529. Huile sur panneau, 202 x 156 cm.. Carmignano, Pieve di San Michele Arcangelo.
Rencontre filmée entre Marie en attente de Jésus et Élisabeth enceinte de Jean-Baptiste, l'installation vidéo de Bill Viola The Greeting (1995) - vue pour la première fois lors de la 46e biennale de l'art de Venise -, projetée en fin de parcours, s'inspire de la Visitazione de Pontormo. Les quelques secondes que dure cette rencontre entre ces femmes se muent en un ralenti de 10 minutes disséquant les gestes les plus infimes, les expressions des trois femmes, le souffle du vent dans les robes. Au-delà de cette retranscription visuelle de l'évangile de Saint-Luc c'est l'émotion de cette rencontre chorégraphiée entre deux femmes, enceintes du Sauveur et d'un saint, et d'une servante que nous livre Viola.
Viola, un maître de la ''maniera moderna'' ?
Gilles Kraemer & Antoine Prodhomme (déplacement et séjour à titre strictement personnel à Florence)
Bill Viola, The Greeting,1995. Installation vidéo, 10' 22''. Actrices : Angela Black, Suzanne Peters, Bonnie Snyders. Installation vidéo projetée dans le cadre de l'exposition Pontormo et Rosso, palazzo Strozzi, Florence © Photographies Gilles Kraemer, mai 2014, Florence
Pontormo e Rosso Fiorentino. Divergenti vie della ''maniera''
8 mars – 20 juillet 2014
Palais Strozzi – Florence
Commissariat : Carlo Falciani & Antonio Natali
Catalogue indispensable, 372 pages. Éditions Mandragora, Florence . Prix 39,90 euros
Internet : pour une visite filmée de cette exposition, salle par salle www.palazzostrozzi.org
Youtube.com : Pontormo e Rosso Fiornetino / Mostra Palazzo Strozzi - Firenze /// Ribelli, spregiudicati, moderni : Pontormo e Rosso Fiorentino a Firenze /// La Deposizione dalla Croce del Rosso Fiorentino analizzata da Michelangelo Moggia
Pour mémoire Bill Viola, du 5 mars – 21 juillet 2014, au Grand Palais, Paris. La plus grande exposition qui lui est consacrée par le nombre des vidéos présentées : 20
www.grandpalais.fr/fr/evenement/bill-viola
Pour mémoire Bill Viola et Carpaccio à Venise
www.lecurieuxdesarts.fr/2014/02/vittore-carpaccio-en-dialogue-avec-bill-viola-%C3%A0-venise.html
Remerciements à Lavinia Rinaldi de la Fondazione Palazzo Strozzi.