De Jheronimus Bosch à Abraham Bloemaert, de Vittore Carpaccio à Cézanne, dessins du Museum Boijmans Van Beunigen, Rotterdam et de la Fondation Custodia, Paris
Le 1er janvier 2014, le couperet tombe : l'Institut néerlandais, installé dans l'hôtel Lévis-Mirepoix, rue de Lille, ferme définitivement ses portes.
Alors, disparaître pour disparaître, autant que ceci le soit avec panache. Hieronymus Cock, la gravure à la Renaissance, un foisonnement d'estampes des plus désirables, exposition qui se tint à l'automne 2013 clôtura d'une façon représentative ce que fut, pendant 56 années, ce haut lieux parisien de la rue de Lille qui accueillit aussi des concerts, des débats et des soirées littéraires.
Une époque que le ministère des Affaires étrangères du Pays-Bas raya abruptement en supprimant sa subvention à l'Institut, malgré une forte mobilisation et une pétition. Rien n'y fit. Dommage. Un magnifique concert d’adieu fut donné le 19 novembre 2013, salle Gaveau, par des musiciens néerlandais, en remerciement de tous ceux qui soutinrent l'Institut. Un départ en fanfare digne et chaleureux mais un départ emprunt de tristesse.
Qu'allait donc devenir l'hôtel Lévis-Mirepoix, construit en 1895, propriété de la Fondation Custodia fondée par Frits Lugt, et que celle-ci louait à l'Institut ?
Pour la Custodia, surtout ne pas le vendre pour se recentrer uniquement dans l'hôtel Turgot abritant la Fondation. La réponse du dynamique Ger Luijten, directeur de la Fondation depuis quatre ans, est celle de poursuivre les expositions, l'accent étant mis sur les arts graphiques, dans l'instauration d'un dialogue et de liens entre les œuvres de la collection Frits Lugt et celles d'autres cabinets d’estampes.
Le comique de tout ceci : le ministère néerlandais des Affaires étrangères reloue le 3e étage de ce bâtiment, dans un souhait d'y programmer des expositions, de photographies et d'art moderne ! La Terra Foundation for American Art, défendant l'art américain, quitte ses locaux parisiens de la rue des Pyramides pour louer le 2e étage de Lévis-Mirepoix.
Petrus Christus, Portrait d’une jeune femme, vers 1450. Pointe d’argent sur papier préparé gris, 132 x 89 mm. Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam (Legs F.J.O. Boijmans 1847)
Feu d'artifice inaugural avec De Bosch à Bloemaert : dessins néerlandais des Xve et XVIe siècles du Museum Boijmans Van Beuningen de Rotterdam. Le dictionnaire n'a pas les mots pour décrire ce qui vous attend en gravissant l'escalier de l'hôtel Lévis-Mirepoix. Alors, plutôt que de partir à la recherche de quelques qualificatifs, empruntons le « Autant le dire sans se lancer dans des circonvolutions intellectuelles et cérébrales : c’est magnifique, époustouflant de qualité et de richesse » au blog Robin des arts de Robin Massonaud.
Jheronimus Bosch, Le Nid de hiboux, vers 1505-1515. Plume et encre brune, 141 x 197 mm. Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam (Collection Franz Koenigs)
Directement, en entrant, face à vous, un chef d'œuvre: Le Nid de hiboux, une feuille des plus importantes du corpus de Jheronimus Bosch, frappante par son exécution, l'étude des plumes du hibou central, la rugosité de l'écorce de l'arbre, les toiles des araignées, l'une de ces araignées est regardée avec appétit par un oiseau, la finesse du paysage et de la ville suggérés. Retour 50 ans en arrière pour regardez Portrait d'une jeune femme de Peter Christus, dessiné à la pointe d'argent sur papier préparé gris, technique usitée au XVIe siècle de dessiner avec une pointe d'argent sur un support préparé à l'avance, se caractérisant par une évolution du trait dans le temps, conférant au dessin la grâce impalpable et si caractéristique de ce procédé, un dessin qui vit. Songez à Leonardo da Vinci ou à Dürer qui la pratiquèrent. Regardez la Crucifixion de l'entourage de Jan van Eyck ou l'anonyme brugeois Etudes de deux visages, d'une main et d'un oeil pour capter toute la douceur laissée par la pointe d'argent sur la feuille.
Dans cette même salle, arrêtez-vous devant l'étude, vraisemblablement pour un vitrail par Lucas van Leyden de Siséra tué par Jaël, mort violente puisqu'elle lui plante un clou dans l'oeil et les Six lions dans un forêt, du Maître de la Mort d'Absalon, dessinés dans la technique du clair-obscur, encore un artiste anonyme qui ne peut laisser indifférent comme l'anversois du Paysage panoramique avec des rochers escarpés ou David apporte l'Arche d'Alliance du Maître de Liechtenstein.
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Pieter Bruegel l’Ancien, Caravane de mulets à flanc de montagne, vers 1552-55 Plume et encre brun foncé, traces de sanguine et d’encre bleue, 217 x 302 mm Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam (Collection Franz Koenigs)
Poursuivez votre chemin avec Vue d'une ville dans un paysage montagneux de Jan van Scorel puis Paysage avec la parabole du Bon Samaritain d'Hans Bol, préparatoire à une gravure comme l'est la suite des Douze mois, du même, exceptionnelle par le fait qu'elle soit parvenue dans son intégralité. Pieter Bruegel avec des œuvres réalisées entre 1553 et 1562, voici encore un grand, avec trois paysages représentatifs de son travail : une étude, une esquisse et un dessin d'un paysage de montagne et trois sujets moralisateurs avec les Vertus : Charité, Force et Tempérance, dessins pour des estampes qui seront éditées par Hieronymus Cock.
Hans Speckaert, La Bataille des Dieux et des Géants, vers 1575. Pierre noire, plume et encre brune, lavis brun, rehaussé de blanc, 415 x 268 mm. Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam
Deux coups de coeur pour le maniériste Hans Speckaert Le Combat des dieux contre les Géants et Mercure de Gerrit Pietersz, placés côte à côte. C'est l'un des miracles de cette exposition, la confrontation de toutes ces feuilles comme l'est celle des arbres de Jan Brueghel, si réalistes, en dialogue avec Etude d'un tronc d'arbre de Jacques de Gheyn, donnant l'envie de toucher son écorce se desquamant.
Seize Hendrick Goltzius (1558-1617) qu'il est impossible de tous les nommer d'où mon choix si personnel, nullement objectif, de retenir Scène sacrificielle d'animaux immolés à Mars si classique et majestueux et Vénus et l'Amour si maniériste, deux dessins totalement différents, révélateurs de la grande maestria de ce maître. Alors, plutôt que d'aller au cinéma voir Goltzius et la Compagnie du Pélican réduisant ce graveur et peintre à des inspirations érotiques, film certes esthétique de Peter Greenaway mais loufoque sur la vie de cet artiste, précipitez-vous vers la Fondation Custodia.
Pour le plaisir du regard, un dessin de Goltzius (24,5 x 34 cm) est vendu à Londres, chez Christie's, le 10 juillet 2014. Provenant de la I.Q. Van Regteren Altena Collection, le dessin de cette main droite est estimé entre 370 000 et 610 000 euros.
© Photographies Antoine Prodhomme, avril 2014
Comme un bonheur n'est jamais seul, descendez dans les salles du sous-sol pour la seconde exposition Dialogues : Dessins de la Fondation Custodia et du Museum Boijmans Van Beuningen, dans une mise en relation de dessins de la collection Frits Lugt et du Boijmans.
Confrontation en 40 rencontres, du XIVe au XXe siècle, des dessins de chacune de ces institutions (chacune est présentée par un cadre de couleur différente) autour de Sorcellerie, En pleine action Guerchin / Goya, Paysages italiens à la sanguine, Modèles patients, Sur les toits, Récréations à l'aquarelle Manet, Rides d'expression avec des têtes de vieillards de Carpaccio, le Héros en prise avec un lion, Torses puissants vus de dos Guerchin / Rubens, Une cour de ferme en plein été, deux dessins du même puits, Dessiner en plein air en 1508 avec Fra Bartolommeo, Sur les toits Hansen / Tholen, voici quelques-uns des beaux télescopages qui vous attendent.
Je retiens Galerie et atelier Daumier / Harpignies, comme une évocation de toutes ces feuilles naissant sous le crayon, la plume, l'encre, la pierre noire ou l'aquarelle, montrées ici pour le seul plaisir de l'amateur.
Car, c'est bien le but de la Custodia : donner à plaire à l'amateur de la belle feuille.
Giovanni Battista Tiepolo, Entrée d’une grange dans la cour d’une ferme. Plume et encre brune, lavis brun, 202 x 281 mm. Paris, Fondation Custodia, Collection Frits Lugt / Giovanni Battista Tiepolo, Puits dans une cour de ferme. Plume et encre brune, lavis brun, 193 x 280 mm. Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen (Collection Franz Koenigs)
Honoré Daumier, L’Amateur d’estampes. Pierre noire, plume et encre noire, aquarelle, 189 x 237 mm. Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen, Collection Franz Koenigs / Henri-Joseph Harpignies, L’Atelier de l’artiste, 1909. Aquarelle sur une esquisse à la pierre noire, 291 x 229 mm. Paris, Fondation Custodia, Collection Frits Lugt
© Photographies Gilles Kraemer, mars 2014
De Bosch à Bloemaert : dessins néerlandais des XVe et XVIe siècles du Museum Boijmans Van Beuningen de Rotterdam
Dialogues : Dessins de la Fondation Custodia et du Museum Boijmans Van Beuningen
22 mars – 22 juin 2014
tous les jours, sauf lundi, de 12h à 18h
Fondation Custodia
121, rue de Lille – 75007 Paris
Internet : www.fondationcustodia.fr
Catalogue Bosch à Bloemaert. Early Netherlandish drawings in Museum Boimans Van Beuningen , Rotterdam. Broché avec rabats, 298 pages, 235 illustrations. Fondation Custodia, Paris & THOTH Publishers, Bussum. Prix 39, 90 € pendant l'exposition puis 49, 90 €.
Si le catalogue est uniquement en anglais puisque l'exposition sera présentée à la National Gallery of Art, Washingthon, Etats-Unis en 2015, le guide de l'exposition distribué gratuitement, décrit d'une façon succincte mais très érudite les 108 numéros présentés.
Dommage, ni catalogue ni guide pour Dialogues.
Découvrez les deux expositions avec une guide conférencière les 6 & 17 mai, 5, 14 & 20 juin 2014 à 11h. Réservation obligatoire coll.lugt@fondationcustodia.fr (15 visiteurs maximum).
Prochaine exposition de la Custodia : Entre Goltzius et Van Gogh. Le goût de P. de Boer, marchand-collectionneur [1896-1974].Du 13 décembre 2014 au 11 mars 2015. En partenariat avec Stichting P. en N. de Boer à Amsterdam, la Fondation célèbre le 50e anniversaire de cette collection constituée par Piet de Boer, contemporain du collectionneur néerlandais Frits Lugt, le fondateur de la Custodia.
Pour mémoire : catalogue : Hieronymus Cock. La gravure à la Renaissance. Indispensable, richement illustré et d’une très grande qualité dans ses notices pour cette étude très érudite de ce grand éditeur. Textes de Joris Van Grieken, Ger Luijten & Jan Van der Stock. Relié et cartonné, 416 pages, 320 illustrations en couleur. Éditions Bruxelles (Fonds Mercator) & Louvain (Illuminare – Centre d’études de l’art médiéval, KU Leuven), 2013. Prix : 64,95 €. En vente à la Custodia.
Autre exposition de dessins à Paris : Paysage à Rome, entre 1600 et 1650, Cabinet des dessins Jean Bonna - Beaux-Arts de Paris, du 11 février au 2 mai 2014 puis au Palais Fesch - musée des Beaux-Arts, Ajaccio, du 26 juin au 4 octobre 2014. Catalogue.
http://www.lecurieuxdesarts.fr/2014/03/le-paysage-a-rome-entre-1600-et-1650-cabinet-des-dessins-jean-bonna-beaux-arts-de-paris.html
Autres expositions de dessins : au Louvre (Les plafonds parisiens au XVIIe siècle), à la Bibliothèque nationale de France, site Richelieur (Dessins français du XVIIe siècle du département des Estampes et de la Photographie) et au musée Cognac-Jay (François-André Vincent).