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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer

Qui était Misia, née Marie Godebska à Saint-Pétersbourg en 1872 ? Trois mariages. Trois divorces. La "Reine de Paris", comme la surnomment les journalistes, meurt solitaire à Paris, en 1950.

Félix Vallotton (1865 – 1925), Misia à sa coiffeuse, 1898. Détrempe sur carton, 36 x 29 cm.. Paris, musée d’Orsay © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

Elle épouse en 1893 le directeur de la publication culturelle et artistique La Revue blanche (1889-1903) Thadée Natanson puis en 1905 Alfred Edwards, le richissime propriétaire de presse. Sa rupture avec Thadée Natanson, sur fond de tractations menées par Alfred Edwards, inspire à Mirbeau une pièce de théâtre, Le Foyer. Elle passa à la postérité sous le nom de son troisième mari le peintre José Maria Sert (1).

Son amie Gabrielle Chanel l'appelait Madame Verdurinska, surnom convenant très bien à celle qui inspira quelques traits de la princesse Yourbeletieff et de Madame Verdurin à Marcel Proust, Éric Satie " la mère Tue-tout " et Jean Cocteau " la faiseuse d'anges ". Paul Morand, dans le manuscrit de L'allure de Chanel, hiver 1946-1947, écrit sous la dictée de Coco Chanel : " elle a un appétit aigri du succès et une passion profonde et sacrilège de l'échec. ".

Edouard Vuillard, Le Peignoir rouge, 1898. Huile sur carton. 42 x 63 cm.. © Archives Vuillard, Paris.. Misia, de dos, face à son demi-frère Cipa Godebski assis près de la cheminée.

Qui était Misia ? Une pianiste de talent, fervente de Beethoven, Schubert et Chopin, élève de Gabriel Fauré, donnant son premier concert public en 1892 mais refusant de faire carrière. Erik Satie lui dédie Trois morceaux en forme de poire en 1903, Maurice Ravel Le cygne en 1906 et La valse en 1920. Elle joue pour le plaisir de ses amis ; Édouard Vuillard peint Misia au piano, 1899, perdue au milieu de son immense salon du 9, rue Saint-Florentin ou Cipia écoutant Misia au piano, 1897-1898. 

Pierre Bonnard (1867-1847), Le plaisir dit aussi Les jeux d'eau, entre 1906 et 1910. Huile sur toile. H. 230 ; L. 300 cm.. Paris, musée d'Orsay © Musée d'Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt.

Elle rencontre l'impresario Serge de Diaghilev dont elle mécène les représentations de Boris Godounov au palais Garnier en 1908 puis lui apporte un important soutien financier et ses relations pour les Ballets russes. Michel Georges-Michel la représente dans sa loge, telle la reine de Paris, le soir de La première de Parade au théâtre du Châtelet en mai 1917, une création des Ballets russes sur un argument de Jean Cocteau, une musique de Satie et des décors de Picasso. Misia aidera Diaghilev jusqu'à ses derniers instants à Venise en 1929, subvenant également aux funérailles de ce dernier. Venise, cette ville dans laquelle elle séjournera une dernière fois à l'été 1947, presque aveugle, dépendante à la morphine, habillée avec élégance, portant ses perles, photographiée par Horst P. Horst À la Galleria dell'Accademia ou sur La terrasse de l'hôtel Europa. Les perles, elle les aimait tellement que Pierre Bonnard, dans Jeux d'eau ou Le voyage, 1906-1910, un des panneaux décoratifs qu'elle lui commande pour son salon du quai Voltaire, représenta dans les bordures du panneau des singes et des pies jouant avec des colliers de perles.

Dans l'écrin de son salon du quai Voltaire décoré par Bonnard, Misia réunit le nouveau gotha artistique. " […] elle excitait le génie comme certains rois savent fabriquer des vainqueurs, rien que par la vibration de son être, […] plus Mme Verdurin que la vraie, prisant et méprisant hommes et femmes, du premier coup d'œil " (Paul Morand).

Henri de Toulouse-Lautrec, Affiche pour La Revue blanche, 1895. Lithographie en  couleurs, pinceau, crayon et crachis. 128 x 92 cm.. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie. 

Cette femme magnétique, à la forte personnalité, charismatique fut largement impliquée dans la vie artistique parisienne. Par son mariage avec Thadée Natanson, elle accueille les artistes d'avant-garde de La Revue blanche qui fréquentent leur appartement dont Vuillard retranscrit en une vision panoramique l'atmosphère ouatée Le salon aux trois lampes, rue Saint-Florentin, 1899. Ce salon était une annexe des bureaux de La Revue comme le furent les maisons de campagne des Natanson à Valvins - voisine de celle de l'ami Stéphane Mallarmé - puis à Villeneuve-sur-Yonne, demeure où venaient souvent Toulouse-Lautrec et Vuillard.

Édouard Vuillard (1868-1940), La Nuque de Misia, 1897-1899. Huile sur carton contrecollé sur panneau parqueté, 13,5 x 33 cm.. Collection particulière © Archives Vuillard, Paris.

Lorsque l'on évoque Misia, on la croise très souvent sous la palette de ce dernier peintre ; comment ne pas évoquer le trouble qu'elle lui procure en regardant La nuque de Misia, 1897-1899, toile dans laquelle sourd l'amour qu'il lui portait. N'incarnait-elle pas l'idéal de la Parisienne élégante, lectrice de La Revue, que Bonnard en 1891 et Toulouse-Lautrec en 1895 choisirent pour illustrer l'affiche publicitaire de cette publication ?

Misia, reine de Paris

du 12 juin au 9 septembre 2012

Musée d'Orsay - Paris

https://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/aux-musees/presentation-generale/article/misia-reine-de-paris 

Commissariat d'Isabelle Cahn et Marie Robert.

Catalogue Misia, reine de Paris, sous la direction de Guy Cogeval et d'Isabelle Cahn. 192 pages, 130 illustrations. Dommage que les œuvres présentées dans cette belle exposition pluridisciplinaire ne soient pas toutes reproduites ! Coédition Gallimard / musée d'Orsay. 35 €.

Organisée avec le concours de l'Opéra national de Paris et coproduite avec le musée Bonnard, Le Cannet, l'exposition se poursuivra au musée Bonnard, Le Cannet (06110), du 13 octobre 2012 au 6 janvier 2013. www.museebonnard.fr 

Misia. La vie de Misia Sert, Arthur Gold et Robert Fizdale, éditions Gallimard collection Folio.

(1) Du 8 mars au 5 août 2012, le musée du Petit Palais a consacré l’exposition Le Titan à l’œuvre à José-Maria Sert.

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